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«Bohemia» (1897) ou la dynamique du portrait bohème

Xavier Escudero





José Martínez Ruiz, non encore connu sous son célèbre pseudonyme Azorín, dans sa jeunesse littéraire bohème, convulsive et anarchiste des années 1895-1897, se propose de brosser le portrait du bohème littéraire à travers un recueil de contes, Bohemia, publié en 1897.

Période d'agitation, de crise, de doute, art de vivre aventureux et fantasque, la bohème littéraire espagnole fin-de-siècle s'associe à l'idée de mouvement, d'agitation, d'instabilité, voire de futilité et d'absurdité. La bohème mène vers la renommée, si on se contente de la considérer comme un «stage de la vie artistique»1, ou, au contraire, dans l'impasse tragique de l'échec. Elle est, dans tous les cas, un passage initiatique qui met à l'épreuve l'artiste dans la quête de son identité, un passage généralement marqué par la douleur, la dureté, la souffrance.

Nous rencontrons dans Bohemia une vision dynamique du jeune Azorín portée sur cette vie et ses représentants. C'est pourquoi, après un détour sur la période bohème de José Martínez Ruiz, nous nous proposons d'apprécier comment une dynamique du portrait bohème se met en place au sein du recueil; une dynamique autant thématique que structurelle et formelle. Cependant, au-delà de la dynamique du portrait interne à l'œuvre, nous essaierons de montrer comment le jeune Azorín participe plus largement à ce que nous pouvons nommer de dynamique littéraire fin-de-siècle du portrait bohème, Bohemia faisant ainsi partie d'une lignée littéraire bohème à part entière.

Ainsi, de prime abord, nous tenons à mettre en avant que le jeune José Martínez Ruiz participe activement à la vie de bohème madrilène des années 1895. Arrivé à la capitale à l'automne 18952, depuis sa province natale (Valencia), le futur Azorín termine ses études en Droit, tout en désirant poursuivre la gloire littéraire, menant une vie bohème, de journaliste sulfureux dans El País (une lettre de recommandation de Luis Bonafoux pour Ricardo Fuente, éditeur en chef de El País, avait permis au futur Azorín de se frayer une voie dans les cercles madrilènes du journalisme, mais ses articles satiriques l'écartent de toute collaboration avec le journal) à critique littéraire dans son livre Charivari (Crítica discordante), vitrine audacieuse des critiques qui se répandaient dans les cercles bohèmes madrilènes. Le jeune Azorín loge dans une chambre de bonnes («guardilla»), vivotant, l'argent et la nourriture lui manquent, peu de portes s'ouvrent à lui. Le jeune Azorín se caractérise à ses débuts à Madrid par son intrépidité, son errance esthétique: comme nombre d'écrivains arrivés à la capitale, il fait ses armes dans le journalisme, c'est-à-dire se livre à une écriture vive, fugace, presque spontanée, dynamique, même s'il prend le temps dans ses articles de revisiter les classiques. Le créateur serein, mesuré et discret que nous connaissons par la suite passe par ce stage artistique bohème, dont il ne restera pas longtemps prisonnier3.

Jeune journaliste à Valence, José Martínez Ruiz se consacre de même très tôt à la critique littéraire, baignant dans une atmosphère d'anarchisme. En 1893, alors qu'il suit les cours d'Histoire Générale du Droit, il prononce un discours à l'Ateneo Littéraire valentien publié sous le titre de La crítica literaria en España et avec le pseudonyme de Cándido. Quelques mois plus tard, paraît sous le même pseudonyme, un opuscule d'une centaine de pages Moratín. En 1894, paraît Buscapiés (Sátiras y críticas), par Ahrimán, un exposé sur les dangers qui guettent la «sincérité»; le recours à la satire l'installe dans le décalage par rapport au discours officiel et conservateur. En 1895, José Martínez Ruiz, sans pseudonyme, fait paraître Anarquistas literarios (Notas sobre la Literatura española). Il devient le type de l'anarchiste littéraire (le bohème est assimilé à la figure de l'anarchiste). A cette époque, l'écriture se place au service de la propagande révolutionnaire, devenant une arme de combat. Puis, paraît un petit recueil de contes, Bohemia, en 1897, marqué par la vie de bohème, renvoyant une image claire, transparente et fragmentaire de cet art de vivre. Comme nombre d'écrivains de sa génération, il constate, à son arrivée à Madrid en 1895, l'écart entre ses rêves de gloire fomentés dans sa province natale et la fausse et frivole réalité madrilène. Le passage de l'illusion à la désillusion, maintes fois mis en avant dans les écrits bohèmes, développe cette vision amère, sarcastique et ironique, déformée et inquiétante dans ses contes sur la bohème.

Bohemia est imprégné de cette ambiance et rend compte de l'expérience de l'auteur dans ce passage douloureux, ce via crucis artistique (4 des 8 contes qui composent le recueil portent plus spécifiquement sur le portrait du bohème). D'ailleurs, le caractère autobiographique est confirmé par l'auteur lui-même dans Madrid (1941) où il revient sur ce qu'il nomme les «alegres pecadillos de juventud»4, c'est-à-dire les contes de Bohemia. Il écrit au chapitre II: «Nadie pudo sospechar, ni en la Redacción ni en parte alguna -no lo delataba mi actitud-, la dura prueba por que pasé unos días. [...]. Con veinte céntimos al día hacía yo mi comida»5. Il est à noter tout de suite (mais nous y reviendrons tout à l'heure) que le genre autobiographique revêt une importance capitale dans la production littéraire bohème fin-de-siècle (le bohème se plaît à épancher son moi mouvementé, tentant de se reconstruire bien souvent). Cette fonction propre à l'écriture autobiographique (le plus souvent, sous la forme d'un journal intime), nous la retrouvons dans Bohemia à travers le premier conte.

Le conte, né avec la presse, est une voie d'expression moderne et sa forme compacte obéit naturellement au format du support qui lui est imposé (le journal). Le conte, à la fin du XIXe siècle, est une façon de se faire connaître en tant qu'auteur aux yeux du public puisqu'il est publié dans des journaux et revues de façon régulière. Azorín a conscience de ce rapport étroit entre le genre, caractérisé par sa brièveté et sa précision et le format qui l'accueille, dans le prologue à Cavilar y contar (1942): «El cuento es cosa moderna; nace con el periódico; la necesidad de constrenir la narración a una o dos columnas hace que surja el cuento, narración abreviada»6. Le conte de la fin du XIXe est très proche des thèmes de l'actualité, devient un genre très vivant, dynamique, «era el resultado de una época inquieta, obsesionada con la idea del tiempo y la velocidad»7. Le conte se passe de commentaires, de larges descriptions et vise la condensation, proche de la nuance poétique, permettant de dégager le détail ou l'apparente insignifiance d'une scène, par exemple. Il compare de même et à juste titre l'ouverture du conte à une ouverture théâtrale: «Desde el primer instante, análogamente de lo que sucede en el teatro, el lector ha de "entrar" en el cuento. [...]. No se puede llevar al lector durante cierto trecho para enfrentarle luego con una vulgaridad»8. Mais, il importe de rappeler, suivant en cela ce qu'écrivait Mirella D'Ambrosio Servodidio dans Azorín, escritor de cuentos, qu'il n'existe pas réellement de cloisonnement entre les genres (certains contes proviennent d'un chapitre de roman ou constituent de véritables essais) dans l'oeuvre d'Azorín et cette perméabilité constante détermine le dynamisme et la fluidité des contes inclus dans Bohemia, réunis autour d'un thème fédérateur: l'échec de la bohème, thème qui sera repris dans Diario de un enfermo et La voluntad. Bohemia est la première collection de contes publié en 1897; c'est aussi sa première œuvre de pure création littéraire, appartenant à une période instable de sa vie de jeune littérateur, marquée par la rébellion, la propagande anarchiste et l'attitude bohème et qui correspond aussi à une période d'apprentissage, d'auto-formation. Dans Bohemia, l'auteur se prend au jeu de la dénonciation de l'hypocrisie et de l'exploitation du jeune écrivain et rend manifeste l'impuissance de l'artiste face à une société médiocre, inculte, en retard socialement et politiquement. Dans cette œuvre, Azorín s'en prend directement à une réalité angoissante, forcément fuyante car passagère, transitoire: la vie de bohème. Sa technique s'en trouve forcément marquée: comment capter l'instant, rendre la futilité, l'absurdité de l'état de bohème? Bohemia est cette œuvre où court le temps, où le portrait a du mal à se fixer, où l'écriture est mouvante sur un sujet qui l'est tout autant. «Con todo, estos cuentos impresionan al lector por su viveza, su brío y su fuerza, tan de acuerdo con el género»9.

Enfin, ainsi que nous allons le voir, l'organisation des contes obéit à une dynamique structurelle précise, ce qui nous permet déjà d'avancer que la dynamique du portrait bohème, rentrée dans les mœurs de la littérature espagnole, à tel point que le bohème croqué par José Martínez Ruiz est déjà caricatural, stéréotypé, se double d'une dynamique formelle liée à la présence de plusieurs contes dialogués ou scéniques10 dans le recueil Bohemia, mais aussi de façon plus générale dans la littérature fin-de-siècle. Ce recours systématique au dialogue dynamise sans conteste le récit, annulant la présence narrative pour laisser place exclusivement à la voix directe des personnages, à la parole. Aussi Azorín se propose-t-il certainement de saisir l'instant bohème, de croquer la fugacité et la futilité de cet art de vivre marqué généralement par l'échec. L'échec est, en effet, l'ombre grandissante qui noircit le portrait du bohème dans les contes de BohemiaFragmentos de un diario», «El maestro», «El amigo», «Paisajes», «Una vida»).



A l'aide des cinq contes précités, José Martínez Ruiz propose une dynamique du portrait bohème, un portrait toujours en mouvement. Une dynamique que nous pouvons nommer d'abord de thématique.

Les situations évoquées dans ces contes, véritables tableaux réalistes sur les différents états de la bohème11, rappellent ou annoncent d'autres récits sur l'itinéraire bohème. Tout bohème qui se respecte quitte sa province natale gonflé d'espoirs, avec pour seul bagage un manuscrit, quelques pièces de monnaie et un trésor d'illusions qui se résume à écrire, publier, se faire connaître, acquérir un nom, s'extirper de l'anonymat, de la masse des écrivaillons laborieux et tâcherons, «llegar». Azorín, ayant connu et vécu ce passage douloureux de l'illusion à la désillusion, brosse le portrait vivant, dynamique car inséré dans un conte dialogué, d'un jeune provincial -«el joven»- fraîchement arrivé à la capitale et qui se présente, muni de l'indispensable lettre de recommandation (de don Ramón Ossorio), à un «maître» en littérature, «El maestro». Celui-ci, après avoir échangé des mots futiles avec le jeune, se propose de lire le manuscrit amené par le bohème (Triunfo de amor) et finit par s'arroger la paternité de l'oeuvre n'ayant rien d'autre à envoyer à son éditeur. Cette fin cynique est l'illustration de la dégradation de la figure du bohème littéraire. La vision du bohème désabusé, trompé, exploité, méprisé par la société paralysante de la Restauration se prolonge dans le conte «El amigo». López, jeune littérateur provincial débutant («principiante de literato»), arrive à la rédaction d'un journal, La Península. «El amigo» Fernando, son interlocuteur-ami et aîné dans cette vie de bohème, lui propose de collaborer dans la revue El Arte. Il en résultera un drôle de commerce d'articles entre le jeune, l'ami et le directeur de la revue. Nous apprenons que l'écrivain en herbe n'a jamais été rétribué, jusqu'au moment où celui-ci se présente à la rédaction de El Arte. Le directeur le récompense froidement d'une somme dérisoire: «EL DIRECTOR.- Veinticinco pesetas... Lo mismo que todos»12. Le futur Azorín place dans la bouche du personnage-charlatan de ce conte, lui-même ancien combattant dans les rangs de la bohème, des vérités sur les principes de la vie bohème, comme leur volonté et leur indépendance:

¡Oh, si yo contara!... El modesto pero honrado nombre de que disfruto en la república de las letras lo he ganado a pulso..., ¡a pulso! Nada de adulaciones, nada de bombos, ni de mendigar elogios en los periódicos. Lo que soy me lo debo a mí mismo. Y usted puede llegar a ser algo; tiene usted independencia, ingenio, y..., amigo, eso es un capital en estos tiempos asquerosos...; lo dicho: ¡asquerosos!13



Le conte «El amigo» ou l'introduction du jeune littérateur dans le monde de l'écriture met en évidence combien le bohème est abusé malgré lui. Il se confronte avec naïveté au commerce des articles, à la camaraderie ou amitié bohème qui repose sur le mensonge et la tromperie.

«El amigo», se plaçant au début de l'itinéraire bohème, rappelle certaines pages de El frac azul (memorias de un joven flaco) (1864) de Enrique Pérez Escrich, premier roman espagnol sur la bohème littéraire madrilène. Si le bohème, personnage innocent et enthousiaste, commence son parcours gonflé d'espoir, celui-ci, dont le talent et la constance sont souvent remis en cause, ne tarde pas à se ranger dans la horde des vaincus, sapé dans ses illusions, revenu de ses erreurs d'optimisme.

Cette dynamique du portrait bohème sur le mode de l'abjection et de l'immoralité, rejoignant le regard critique et contestataire du jeune Azorín, prompt à la dénonciation de la perversion de l'artiste abîmé par une société corrompue, se double d'une dynamique du portrait bohème sur le mode de l'échec. Les deux bohèmes des deux contes qui ouvrent et ferment le recueil en sont la parfaite illustration. Le premier conte «Fragmentos de un diario» -clairement autobiographique- reflète l'état d'indigence extrême du bohème, état de misère ou «philosophie de la misère» récurrente dans les écrits bohèmes. Le protagoniste, s'exprimant à travers son journal intime, confesse son impossibilité de renouveler son abonnement au restaurant («No he podido renovar mi abono de cincuenta pesetas en el restaurante»14), se résignant à manger ce qu'il trouvera, il n'a que «tres duros» pour finir le mois de mars; au journal où il travaille jusqu'à deux heures du matin, on ne le paye pas. Il achète des livres et il ne lui reste que «cinco pesetas». Un matin, alors qu'il s'achemine vers le Retiro pour manger son pain, il tombe affaibli et s'entend dire au milieu de rires qu'il ne s'agit que d'un clochard («No es nada…, ¡un curda!»15). C'est cette même indifférence ou ce même mépris du regard bourgeois porté sur l'indigence bohème qui accompagnera le poète aveugle et fou, Max Estrella dans Luces de bohemia (1920) de Ramón María del Valle-Inclán («un curda», à la scène 4, par exemple).

Sur son fauteuil de malade, un jeune homme de 25 ans, paralytique, du dernier conte scénique «Una vida», essuie successivement les reproches de sa mère, de son frère et de sa sœur sur sa vie gâchée, sur le capital de la famille dilapidé (Alejandro Miquis de El doctor Centeno (1883) de Benito Pérez Galdós avait fait de même). Sa défense: son honneur. Il se dépeint sciemment comme indépendant, athée et quichottesque:

EL ENFERMO.- ¿Qué habéis visto? No podéis ver más que mi sacrificio, las iniquidades sufridas por no humillarme ante el poderoso, por no pensar como «todo el mundo» piensa..., por ser independiente, por ser libre. Ese es mi crimen; el ser rebelde contra todo convencionalismo, contra todo dogma, contra toda ley.

[...] sólo soy... un amigo de la verdad, un enamorado de la justicia..., ¡un Quijote!16



De plus, Azorín complète sa vision du bohème madrilène fin-de-siècle d'une description physique mettant en avant la décrépitude prématurée et l'extravagance du personnage:

EL ENFERMO.- (Sobre veinticinco años; faz pálida, larga la barba y descuidada. Aspecto de pensador, de filósofo en perpetua batalla con la realidad [...])17



L'une des dernières images qui s'impose lorsqu'on s'intéresse à la bohème, est la maladie (Isidro Maltrana de La horda de Vicente Blasco Ibáñez était privé de travaux physiques par sa faible constitution, Alejandro Miquis est décrit décrépi dans son lit...). Les écrits sur la bohème (romans, poésies) mettent souvent en avant cette image de décrépitude physique et morale.

La bohème est la voie de l'erreur, de l'errance («extraviarte», dira la mère du condamné, du malade), de l'échec, de la méprise. En fin de parcours forcé, le bohème devient la victime éclairée de ses erreurs de jeunesse. A l'instar d'un Don Quichotte frappé par la raison, le bohème du conte «Una vida» fait avec conscience -s'il est un trait commun à tous les personnages bohèmes, c'est leur sens de la lucidité, leur clairvoyance- le bilan d'une vie sacrifiée, tournée de façon obsessionnelle vers la gloire littéraire («Por mi nombre he luchado y por el nombre de toda la familia»18), une gloire qui ne fera qu'attendre: «Soy un vencido..., si es derrota el tener vergüenza y no transigir con la mentira»19. Le héros bohème fin-de-siècle est un perdant, un «vencido» (Alejandro Sawa, intitulait déjà son récit autobiographique bohème en 1887 de Declaración de un vencido), abandonné de tous. Sa vie est un combat inutile, impossible, quichottesque qui ne peut mener qu'au suicide (par désespoir): «¡Quiero morir solo..., de hambre..., de hastío, de odio!»20.

Le conte dialogué «Paisajes», véritable petit traité esthétique sur la captation sensorielle du paysage (et nous savons que la nature est une autre obsession thématique azorinienne), conte central dans Bohemia, porte sur le manque de volonté chronique et le déclin du bohème (fin de parcours), incapable de réaliser un projet d'écriture. Nous savons que le bohème est marqué par l'incapacité ou l'impuissance à passer à l'acte d'écriture:

Se titulará Paisajes; será una serie de cuadros sin figuras, de manchas de color, de visiones..., estados de alma ante un pedazo de Naturaleza, [...].

Paisajes no salía. Todos los días proponíase principiar su obra y todos los días dejaba su tarea para mañana21.



Le personnage de ce conte se distingue par cette pathologie du manque de volonté, inséparable, comme l'alcool et le manque d'argent, du portrait du bohème: «Pero le era imposible escribir: no tenía fuerzas, no podía»22.

D'ailleurs, le bohème présenté par Azorín, stéréotype du bohème fin-de-siècle, consume sa vie dans les cafés madrilènes; son emploi du temps se présente sous la forme d'un itinéraire angoissant:

Y, sin embargo, persistía en su vida de bohemio empedernido: pasando el día en los cafés; dormitando, repleto de ginebra, en las tabernas; viviendo angustiosamente de la caridad forzada de sus amigos. «Esa obra me reanimará», decía, poniendo sus esperanzas en el libro proyectado.23



Pour Azorín aussi, la bohème est le passage douloureux de l'illusion à la désillusion, elle est une expérience angoissante où prédominent la frustration et l'échec. Le bohème suit inéluctablement un itinéraire de douleur et de misère24 dont la fin, tragique ici, est l'enfermement dans la folie du désespoir:

[...] apelotonado en un rincón del coche, dejaba vagar su espíritu, sin vigor, sin consistencia, de lado para otro:


Deçà, delà
Pareil à la
Feuille morte25.



Pour résumer, le conte qui ouvre Bohemia, «Fragmentos de un diario», où le manque de dynamisme de l'action semble compensée par la forme (selon D'Ambrosio, il existe effectivement chez Azorín une complémentarité entre la forme et le fond) porte sur la dureté, l'ascétisme d'une vie paralysée par le manque de succès. Le dernier conte est la vision dynamique pitoyable d'un bohème cloué dans son lit et assisté par sa sœur, son frère sa mère. Pétrifié dans un orgueil absurde, le bohème confirme sa fibre contestataire, anti-bourgeoise, au grand dam de son entourage qui l'abandonne petit à petit, puis revenant assister au suicide du bohème, ultime acte de protestation; un geste que nous retrouvons dans Declaración de un vencido de Sawa publié en 1887).

La dureté de cette vie bohème, avec tout ce qu'elle suppose d'absurdités, de désordres, de doutes, de rivalités littéraires, de désirs frustrés, d'illusions, imprègne le portrait bohème des contes Bohemia, qui possède également une valeur documentaire indéniable: «Son confesiones personales, apenas vestidas de ficción novelesca, o pretextos para hacer públicos, una vez más, escenas y sucesos de la bohemia literaria con la que convive, así como sus convicciones e ideales»26.



Ainsi que nous l'avons déjà dit, Bohemia est un recueil de contes scéniques, à cause de la prépondérance accordée au dialogue (dans «El maestro», «El amigo», «Una mujer», «Una vida»), au caractère théâtral de l'écriture de certains contes (présence de didascalies, noms des personnages précédant l'intervention)27, favorisant, de surcroît, l'annulation de la présence du narrateur, laissant place à une plus grande autonomie ou objectivité au récit. Ce mélange des genres et l'alliance du présent et du passé-simple dans un même conte aidant, participe à la modernité de son texte qui annoncerait, selon Arregui Zamorano, la technique du «nouveau roman»:

La insistencia de Azorín en narrar con el presente y el pretérito perfecto ha sido uno de los motivos por los cuales se le ha considerado precursor de las tendencias literarias objetivistas como el «nouveau roman» francés28.



De même, selon Arregui Zamorano29, plus d'un tiers des contes azoriniens présente des personnages qui sont en même temps les narrateurs de leur propre histoire, privilégiant le dialogue, afin de dynamiser leur récit. La forme dialoguée dans le roman devient une mode narrative fin-de-siècle en Espagne, même si l'origine de celle-ci peut remonter à La Celestina: outre de larges passages de El frac azul, le roman El abuelo (1897) de Benito Pérez Galdós en est un exemple remarquable («novela dialogada en cinco jornadas»). Le conte fin-de-siècle adopte également ce jeu narratif: soit entièrement dialogué, soit contenant des passages dramatiques (nous pensons aux Cuentos dramáticos de 1901 d'Emilia Pardo Bazán), nous les voyons foisonner, par exemple, dans El Cuento Semanal. Enfin, le conte ou ses dérivés («leyenda», «novela corta») est l'un des genres les plus travaillés par les auteurs bohèmes fin-de-siècle. Et puis certainement que cette façon tout à fait dynamique de privilégier la voix directe du bohème répond au souhait du premier Azorín de ne pas séparer l'art de la vie. Au chapitre II de Soledades: «El artista que piensa noblemente y no vive como piensa, no es un artista completo. [...] No estamos en los tiempos de Benvenuto Cellini, en que se le perdonaba todo a un hombre con tal que ejecutase maravillas artísticas. ¿Qué vale la sublimidad de un libro, de un cuadro, de una estatua, al lado de la grandeza de una vida santa? Hay que ser genio con la cabeza y con el corazón; en la obra y en la vida».

Le vœu d'Azorín est-il peut-être de rapprocher l'art de la vie, de sa spontanéité, par le biais d'une écriture dynamisée. L'un des credo de l'anarchisme littéraire étant l'«innovation», c'est-à-dire la capacité de l'artiste à placer ou à mettre la littérature au pas, au rythme dynamique de la réalité: l'art doit en effet chercher à rester libre et indépendant tout en s'adaptant aux changements imposés par la technique (le développement de la presse), par le progrès.

L'inanité de l'action du premier conte, «Fragmentos de un diario», qui tourne autour de l'obsession de l'argent et la domination de la vie par l'échec et la misère, semble compenser par une forme dynamique, mouvante -le journal intime-, genre par excellence de la «quasi-simultanéité avec la vie»30. De plus, l'écriture fragmentaire, morcelée accompagne la définition à appliquer à l'artiste bohème, caractérisé d'une part par son manque de cohésion, mais également par sa personnalité littéraire aux abois, en quête d'une authenticité artistique qui le mène souvent dans l'impasse tragique de l'échec. Le choix du jeune Martínez Ruiz de couler ce portrait dans le moule autobiographique, lui-même inséré dans la forme extrêmement codée du conte, devant s'adapter lui-même aux lois de l'impression journalistique, illustrerait peut-être ce tiraillement du premier Azorín anarchiste entre l'affirmation de la liberté et de l'indépendance de l'artiste et le désir de se faire connaître, de publier, de se plier aux exigences de la publication. Cette même inanité de l'état de bohème perdu à la Verlaine se répand dans les autres contes du recueil sur la bohème: la bohème est paralysante, à l'image du bohème malade du dernier conte «Una vida» qui a entraîné avec lui dans la misère toute sa famille. Le premier conte «Fragmentos de un diario» propose une ouverture du recueil sur l'état d'indigence extrême de l'artiste bohème, déjà défaillant et finissant par être confondu avec «un curda». Le dernier conte qui le ferme «Una vida» propose une vision tragique de la fin d'un bohème dont l'obstination à se croire supérieur, enfermé dans un orgueil anarchiste, le pousse à choisir la voie de la destruction, du suicide, dernier geste contestataire par excellence.

Bohemia est un recueil dynamique à plus d'un titre: participation au traitement du portrait littéraire de l'artiste bohème, «maudit» fin-de-siècle en butte à l'injustice sociale, à l'incompréhension du public, drapé dans un orgueil grotesque mais exploité, humilié, méprisé et finalement oublié; dynamisme formel proposé par la conjugaison de genres différents (contes dramatiques, théâtraux ou entièrement dialogués; sous forme de monologue -la confession «agonique» du bohème de «Paisajes» ou de journal intime dans le premier conte marqué par la présence d'un moi résigné mais ironique); dynamique de l'écriture azorinienne: en tant qu'oeuvre de jeunesse publiée en pleine tourmente éditoriale pour l'écrivain, période critique, Bohemia s'inscrit dans un passage littéraire, presque d'initiation à l'affirmation du moi de l'auteur.

S'il est vrai que les thèmes de la rébellion et de la dénonciation sont transitoires, selon ce qu'affirme D'Ambrosio («A grandes rasgos, la postura adoptada por Azorín en Bohemia es transitoria. [...]. La presente actitud de inconformismo intelectual, revestida de sarcasmo e ironía, será superada posteriormente, convirtiéndose en otra de reconciliación serena con la tradición»31), n'oublions pas que la bohème doit rester un état transitoire, même si, toujours en suivant D'Ambrosio, certains thèmes développés renvoient à des convictions solides et à des centres d'intérêt permanents chez Azorín, quoique de façon embryonnaire tels que le rôle de la nature et l'intérêt pour le paysage dans «Paisajes»32 ou encore le choix de plusieurs formes comme le journal intime (l'écriture autobiographique), des essais poétiques, des dialogues et des descriptions de paysages. C'est bien le portrait dynamique de la frustration, de l'absurdité et de l'échec que nous propose Martínez Ruiz dans Bohemia, mais aussi une dynamique de la création et de la gestation littéraire. Il s'agit dans tous les cas d'un Azorín atypique, contestataire et le portrait ou l'image qu'il propose de ce moment de vie se caractérise bien par l'inconstance, le mouvement, l'agitation, notions propres à la définition réelle à appliquer au concept dynamique de bohème littéraire.



Dans les contes bohèmes du futur Azorín se développe une écriture centrée sur le dévoilement du côté grotesque, vain et, finalement, dégradant de la bohème. C'est ainsi que, pour nous, la voie de la dérision frayée par le roman de Galdós, El doctor Centeno (1883), se prolonge sur la voie définitive de l'échec à travers les différentes scènes de bohème croquées, brossées par Martínez Ruiz. Il utilisera les stéréotypes romanesques qui ont accompagné jusqu'à présent la description du parcours bohème, mais s'ajoute à cela une ridiculisation du personnage bohème qui passe ainsi d'un regard complaisant et compatissant à une image dégradante. Les contes que nous avons dégagé nous permettent de reconstruire la vision et la définition du parcours bohème selon le futur Azorín.

Bohemia, dans la production azorinienne, du premier Azorín, rentre dans cette vision agitée, révoltée, iconoclaste du jeune artiste se cherchant une identité, aspirant à la gloire et à la renommée, fait partie de ce parcours littéraire qui débute avec les textes de Mariano José de Larra, puis avec le roman autobiographique de El frac azul d'Enrique Pérez Escrich pour se prolonger avec d'autres oeuvres sur le type bohème (Pío Baroja le dépeint généralement comme un pauvre hère sans consistance, misérable et inutile; Valle-Inclán dans Luces de bohemia comme un vagabond misérable, affamé mais brillant, tragiquement atteint par l'échec et porteur du message «esperpentique»). Azorín participe à cette dynamique du portrait bohème en échec avec la vie, avec ses idéaux. Cette vision de la bohème vient répondre à cette lignée d'écrits sur la bohème fin-de-siècle.

Par exemple -et le premier conte l'illustre parfaitement-, dans cette existence vaine, l'angoisse du manque d'argent est cuisante: «Poseer dinero era para él como la razón de vivir, [...]»33 pour Alejandro Miquis du roman de Benito Pérez Galdós, El doctor Centeno. Elías Gómez, de El frac azul, le premier vrai bohème, recourt souvent à la pratique du crédit34, gage ses vêtements (la «capa empeñada» d'Emilio Carrere), Alejandro Sawa se plaint de sa misère dans Iluminaciones en la sombra (1910).

Par ailleurs, la désorganisation ainsi que l'aspect décousu du premier roman bohème encouragés par la présence de l'oralité développent une écriture en mouvement (telle que celle développée dans Bohemia): le bohème est un être instable, dans la mesure où il ne se satisfait pas de se ranger dans la normalité. Son écriture semble prolonger sa marginalité, son art de vivre s'inscrit dans un art d'écrire. Pérez Escrich nous livre un roman où la confusion règne, dans le but, peut-être, d'identifier la bohème à une période d'instabilité, d'indécision, de tâtonnement. C'est tout naturellement que dans El frac azul s'installe la confusion des genres et des voix. Pérez Escrich ne semble pas maîtriser sa subjectivité et finit par ne plus pouvoir ni vouloir se cacher derrière la voix narratrice. Le roman bohème, autobiographique dans le cas d'Escrich, franchit facilement les frontières du journal intime: roman autobiographique ou mémoires romanesques35? Avec le Frac azul, on se rend déjà compte combien la frontière entre fiction et réalité est difficile à établir, reste floue. D'ailleurs, la singularité de son roman tient à l'ambiguïté du champ auquel il se raccroche (entre autobiographie et fiction).

Le bohème se regarde et témoigne, observe et se justifie, se tourne facilement vers un passé révolu, le plus souvent pour «s'en délecter» et non pour le «maudire»36. Il développe une écriture centrée sur le moi autobiographique. Le bohème espagnol fin-de-siècle privilégie dans les écritures de l'intime, l'autobiographie, le journal intime et les mémoires, des écrits qui «ne constituent pas réellement un genre littéraire [-si ce n'est l'autobiographie dont le code a été défini par Jean-Jacques Rousseau dans ses Confessions-] puisque ce qui les réunit, c'est moins une série de traits formels qu'un sujet commun: le moi»37. Le bohème est un être recentré sur lui-même, qui a le sens aigu de sa personne, de ses faiblesses, de ses limites38. Il développe l'esprit d'analyse qui paralyse parfois totalement, pour reprendre la thèse de Paul Bourget critique catholique et traditionnaliste, dans Essais de psychologie contemporaine (1883-1885), au sujet du Journal (1884) d'Amiel, la volonté de l'individu et le rend incapable d'actions (la maladie de la volonté dont souffre le bohème de «Paisajes» est due aussi à un «excès d'analyse»). D'ailleurs, l'écriture diaristique devient un miroir (d'où le rôle de confident) et permet à l'individu de se reconstruire: le diariste pratique l'autoanalyse (fonction active du journal intime), il se confesse, fait son examen de conscience et goûte le plaisir de se replonger dans les profondeurs de la vie passée. Le bohème est un être qui se regarde, qui s'introspecte, qui s' «analyse». Depuis l'un des textes fondateurs de cette littérature de l'intime bohème39 -El frac azul-, le bohème a l'habitude de se présenter à ses camarades, sous forme de composition poétique. La poésie fait partie du rite d'intronisation dans la vie et la confrérie bohème. Par ailleurs, et à titre d'exemple, Alejandro Sawa dans Iluminaciones en la sombra pratique l'autoportrait et propose des portraits de personnages littéraires ou politiques appréciés ou, parfois, méprisés par l'auteur40. La bohème est la convergence de contradictions rendant l'appréhension de ce phénomène d'autant plus délicat qu'il est diffus et confus, car le versant idéal est toujours contrebalancé d'un versant douloureux, triste, qui oriente le regard bohème vers le noir et la terre41. Les vers du poète bohème sont empreints du sentiment de dureté d'une vie marquée par l'amertume, la souffrance et la douleur, ainsi qu'en témoignent Francisco Villaespesa dans «Bohemia»42, Antonio Palomero dans «Delorme»43 et Alfonso Tobar dans «Cantares». Ce dernier poème, où nous voyons le poète se plaindre de la faim44 et de son existence vouée à l'infortune qu'il ne peut dompter, est intéressant à rapprocher du sonnet de Francisco de la Escalera, «La alegría del bohemio», qui offre un contraste remarquable dans le traitement de l'impression de douleur par le bohème. Pour lui aussi, le bohème est prédestiné au malheur et à la pauvreté, mais loin de sombrer dans la déprime ou un état spleenétique, selon Escalera, le bohème s'en défend en se réfugiant dans l'insouciance grâce à laquelle il maîtrise paradoxalement sa douleur. Ainsi, Francisco de la Escalera choisit le sonnet, forme parfaite, pour trouver une solution à ce problème. Tobar verse son message dans un «cantar», forme poétique populaire. Le contraste est aussi formel. De même, Pedro Luis de Gálvez «extravagante y satánico»45, choisit le sonnet pour évoquer son expérience de bohème où il démontre que la seule qualité maîtrisée par le bohème est son insouciance: «No curo del mañana ni el presente». Manuel Machado, dans son poème-épitaphe dédié à Alejandro Sawa, l'un des bohèmes emblématiques fin-de-siècle, souligne la malédiction du destin bohème irrévocablement orienté vers la douleur: «Jamás hombre más nacido / para el placer, fue al dolor / más derecho». Ainsi, la poésie bohème est dominée par la douleur de vivre, le «vivir doliente» faisant écho à l'existence réelle du bohème, véritablement meurtri dans sa chair par la misère, car la douleur du bohème n'est pas seulement morale: elle est physique46. Accablé de douleurs, le bohème adopte souvent dans sa poésie une attitude triste, mélancolique, voire suicidaire: «Soy un hombre roído por cruel melancolía»47; «¡Oh qué triste es la tristeza / de vivir, / que es correr tras de una sombra, y en la sombra / hallar el fin!»48; «[...] muerta la fe, sin ilusión alguna, / y en la mano una bala, como Larra»49; «[...] y he suspirado por / el Placer de morir»50.

Par ailleurs, les contes d'Azorín rejoignent les jugements portés ultérieurement par un Rubén Darío revenu de ses erreurs de jeunesse. L'artiste bohème est par antonomase un raté, un parasite selon les critiques les plus virulentes de l'époque fin-de-siècle. C'est ainsi que le poète nicaraguayen Rubén Darío, en dépit de ses franches amitiés avec les bohèmes, dont l'une des plus célèbres et des plus tourmentées avec Alejandro Sawa, juge en 1895, dans un texte intitulé «Este era un rey de Bohemia», que la bohème littéraire espagnole fin-de-siècle n'est que l'ombre, le pâle reflet de la bohème galante «à la Murger». Selon lui, la bohème est liée à l'élégance, or «los bohemios de hoy son los perdidos de la literatura. [...]. Son los holgazanes en prosa y los desvergonzados en verso; son el asco de la profesión, la lepra de la imprenta, la triste y áspera flor de la canalla»51. Sous le nom de bohème se cache, dans les années 1890, la cour des miracles des lettres espagnoles: l'antique bohème élégante a laissé place à la moderne bohème indécente et funambulesque. Cependant, on peut s'accorder avec la définition donnée par Emilio Carrere, le chantre de la bohème de la rue, des cafés et des cabarets et qui reprend une idée déjà véhiculée par Henry Murger52, à savoir la bohème en tant que passage vers une vie meilleure:

La bohemia es una forma espiritual de aristocracia, de protesta contra la ramplonería instituida. Es un anhelo ideal de un arte más alto, de una vida mejor53.



Et dans ce passage se sont côtoyés nombre d'artistes et d'écrivains d'obédience souvent opposée, à tel point que la bohème est une nébuleuse, un magma d'écrivains en effervescence ou en gestation aspirant à «l'immortalité» ou poursuivant simplement leur chanson jusqu'à la mort selon Rubén Darío54.



La bohème est une épreuve forcée, un véritable via crucis de l'artiste en quête d'une authenticité, d'une vérité, d'un style, d'une identité propre, de sa «facture». Le bohème est tout et rien à la fois: artiste en formation, en transit, de passage, en attente et le (la) bohème évoque tellement de choses à la fois que les qualificatifs ne cessent de pleuvoir comme autant de couleurs parant un habit d'Arlequin55. La bohème est un dilemme déchirant, une errance perpétuelle entre deux états, entre deux définitions, est «ce monotone et inutile vagabondage» déploré par Marcel, le peintre des Scènes de la vie de bohème56. «La nueva bohemia finisecular es un "proletariado artístico" de aguerridos combatientes, fuera de las fronteras de la sociedad burguesa y marginada en su inframundo por volición propia, libre e irresponsable, anárquica y consciente»57.



Pour conclure sur la vision dynamique du jeune José Martínez Ruiz dans Bohemia, la bohème est synonyme de tromperie, d'illusions vaines, d'injustice, d'ingénuité et de naïveté. Bohemia (1897) est le constat pessimiste voire dénigrant sur l'état ou le statut du bohème, que l'on se place au début, au milieu ou à la fin de ce parcours marqué aussi, pour le futur Azorín, par le malheur, la malchance, le ridicule et l'impuissance. Ses bohèmes sont souvent anonymes et cet anonymat répondrait certainement au vœu de l'auteur, non seulement d'universaliser ce personnage, mais également de rappeler certainement l'insignifiance de son existence ou l'erreur de celle-ci, dans la mesure où le bohème aspire à la reconnaissance et seuls l'attendent l'indifférence, l'oubli, l'abandon, l'isolement et l'amertume.

A travers son recueil de contes, Bohemia, José Martínez Ruiz, parcourant la vie de bohème comme un simple «stage de la vie artistique» (Henry Murger), s'inscrit aussi dans cette tradition du portrait bohème, dans cette dynamique.






Bibliographie

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  • Mirella D'Ambrosio Servodidio, Azorín, escritor de cuentos, Las Américas, 1971.
  • José Luis Castillo-Puche, Azorín y Baroja. Dos maestros del 98, Biblioteca Nueva.
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  • José Esteban et Anthony N. Zahareas, Los Proletarios del Arte, Introducción a la bohemia, Madrid, Celeste Ediciones, Biblioteca de la Bohemia, 1998.
  • Manuel Granell, Estética de Azorín, Madrid, Biblioteca Nueva, 1949.
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  • —— Advertencia importante, Obras completas, Tome I, Madrid, Aguilar, 1947.
  • —— Cavilar y contar, Prólogo, Obras Completas, Tome VI.
  • —— Madrid, Madrid, Artes Gráficas Municipales, 1964.
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  • Benito Pérez Galdós, El doctor Centeno, Novelas Contemporáneas, Vol. IV (El amigo Manso. El doctor Centeno. Tormento), Madrid, Alianza Editorial, 1994, Biblioteca Castro, Editorial Hernando.
  • Allen W. Phillips, En torno a la bohemia madrileña 1890-1925 (Testimonios, personajes y obras), Biblioteca Bohemia, Celeste Ediciones, 1999.
  • Poesía bohemia española (Antología de temas y figuras), Ed. Víctor Fuentes, Biblioteca Bohemia, Celeste Ediciones, 1999.
  • Alejandro Sawa, Iluminaciones en la sombra, Madrid, Editorial Alhambra, 1977.


 
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