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LA TRADUCTION FRANÇAISE MODERNE DE TIRANT LE BLANC: MÉTHODE ET PROBLÈMES

JEAN MARIE BARBERÀ


Attelé depuis plusieurs années à traduire Tirant le Blanc en français moderne j’ai été confronté à un certain nombre de difficultés que la plupart des traducteurs ont résolues en les évitant. La plupart de ces écueils se trouvent dans les passages dits rhétoriques de l’oeuvre, passages qui elèvent d’une pensée alambiquée pour ce qui est de l’expression des sentiments les plus variés -l’amour, la haine, le désespoir, etc.- dont on sait maintenant que les racines plongent aussi bien dans l’antiquité que dans l’amour courtois. Les siècles postérieurs ont perdu ou le goût de cette expression emberlificotée ou son intelligence, parfois les deux à la fois. Il est de notoriété publique que l’adaptation du comte de Caylus, dont Gallimard va publier une édition avant la fin de l’année,36 a coupé allègrement ces passages: “Les discours et les conversations sont ordinairement très allongées, quelquefois remplies de paroles et vides de sens. Mais c’était encore le défaut général de son temps. Il règne également dans nos vieux romans et dans nos vieilles chroniques, aussi bien que dans les anciens écrivains espagnols. On le trouve même dans les Italiens, quoiqu’ils soient les premiers qui aient commencé à mieux écrire. Le traducteur qui sans doute n’a pas cru que le public se souciât de voir la version littérale d’un ancien roman espagnol avec tous les défauts qui l’auraient empêché de s’amuser à une lecture (dans laquelle on ne peut guère chercher autre chose que l’amusement) a pris à cet égard toutes les libertés qu’il a cru nécessaires, non

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seulement en abrégeant certains récits et certaines harangues, qui n’étaient propres qu’à refroidir l’esprit du lecteur; mais encore en faisant des suppressions ou des changements considérables toutes les fois qu’il a cru que l’intérêt des mêmes lecteurs le demandait” (Biblio. 16). Parfois même les éditions en langue catalane n’y échappent pas; ainsi celle de “Els Nostres Clàssics”, établie par Josep M. Capdevila i de Balanzó, est abrégée pour des raisons similaires.

Mais une véritable traduction ne doit pas faire fi de ces passages difficiles, pour plusieurs raisons, entre autre par honnêteté envers l’original, cette même honnêteté et humilité qui peuvent amener le traducteur à reconnaître parfois son impuissance à traduire tel ou tel fragment dont le sens se dérobe momentanément.

Les réflexions théoriques sur l’acte de traduire ne manquent pas, tant anciennes que récentes. Les colloques sur ce thème se suivent; dans le monde de l’hispanisme français, je citerais celui qui s’est tenu à Caen du 13 au 15 mars 1987 (Biblio. 06). Pour ce qui est des Temps Modernes,37 la seconde Renaissance38 voit l’apparition d’un certain nombre d’arts poétiques qui prennent leur inspiration dans les auteurs de l’Antiquité. Point n’est besoin ici de présenter Alonso López Pinciano (1547?-1627?) et son Philosophia antigua poetica, archiconnue je pense de l’auditoire réuni ici. En France, je citerai l’Art poétique français (1548) de Thomas Sébillet, Le quintil horacien (1550) de Barthélemy Aneau, l’Art poétique (1555) de Jacques Peletier, La rhétorique française (1555) d’Antoine Fouquelin et l’Abrégé de l’art poétique français (1565) de Pierre de Ronsard.39 Si je fais référence à ces arts poétiques, c’est simplement parce que les trois premiers abordent le problème de la traduction (voir annexe). À notre époque, les traités sur l’art de la traduction sont nombreux; je mentionnerai celui de Jean-René Ladmiral, Traduire: théorèmes pour la traduction (Biblio. 14). Maurice Pergnier, en quelques pages denses, dans son introduction à Traduction et traducteurs au Moyen Âge (Biblio. 05) va droit au but, pose la question essentielle, “Existe-t-il une science de la traduction?”, et résume l’état actuel d’une question inépuisable.

Mais il faut bien dire que lorsque le traducteur s’est fait une religion et qu’il a défini ce qu’il entendait par ‘traduction’, c’est alors l’heure de vérité. Définir le cadre général n’est peut-être pas simple; retrousser les manches et se mettre à l’ouvrage, analyser, peser, supputer et, moment crucial et angoissant, trancher, voilà qui est encore plus compliqué et problématique. Il peut s’aider de différents outils fort utiles à son travail. Les premiers auxquels on pense sont les dictionnaires, tant catalans que français. Certains sont très classiques et incontournables, comme l’Alcover-Moll (Biblio. 03) ou le Coromines (Biblio. 07) en catalan; le Littré (Biblio. 15) ou le Grand Robert en français (Biblio. 21). Mais j’en indiquerai d’autres au cours de mon intervention, qui seront repris en bibliographie. Avant d’attaquer la traduction promise des chapitres 473 à 475, je veux aussi signaler l’intérêt du Vocabulari català del «Tirant lo Blanc», de Cesáreo Calvo Rigual, présenté sous forme de document FileMaker Pro, qui donne chaque fois le mot en contexte et la traduction italienne correspondante de Lelio Manfredi.



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Si j’ai choisi ce passage, c’est parce qu’il n’est pas toujours évident à comprendre, donc à traduire. Le résultat de mon travail sera donc une proposition de traduction, amendable à tout coup.

La première chose à faire est de procéder à une analyse de la tonalité du texte, car cella-ci va conditionner la traduction: le ton général est celui du planctus. Nous avons ici l’expression de la douleur la plus profonde de celui/celle qui vient de perdre l’être cher. Exclamations et apostrophes se succèdent de façon ininterrompue. Les questions rhétoriques aussi. Le style est heurté. On se demanda en fin de compte si le sens est toujours important, ou s’il ne s’agit pas plutôt d’un long cri contre le malheur qui frappe, relayé par un comportement que l’on pourrait qualifier d’hystérique -sans valeur péjorative-, expression excessive de sentiments exacerbés et d’un affectus foudroyé. C’est bien la manière antique, et il n’est pas étonnant qu’on ait relevé la même chose chez le Corella mythologique, mais on peut relever des passages similaires chez Isabel de Villena, lorsque la Vierge Maria voit le corps de son fils mort. Il va donc nous falloir restituer cette tonalité, mais ce ne sera pas le plus difficile.

Formellement, nous présenterons le texte catalan40, avec, en vis-à-vis, sa version française, le tout suivi le cas échéant d’un commentaire et de notes sur des points plus précis de traduction.

Capítol CDLXXIII. La lamentació que féu la Princesa sobre lo cras de Tirant.

Chapitre 473. Des lamentations de la Princesse sur le corps de Tirant.



lamentació: On remarquera ici qu’à un singulier catalan correspond un pluriel français. Le Grand Robert précise bien à lamentation ‘Le plus souvent au pluriel’, et ne donne aucun exemple de singulier.

Des lamentations: Il faut noter également que l’usage veut que le titre soit normalement introduit par la préposition de, ellipse de [Où l’on va parler] de...

que féu: Enfin, le traducteur doit tenir compte du fait qu’un titre présente habituellement en français une forme syntaxique nominale, sans que cela soit toutefois une obligation absolue.

- ¡Oh fortuna monstruosa! Ab variables diverses cares, sens repòs, sempre movent la tua inquieta roda, contra los miserables grecs has poderosament mostrat lo pus alt grau de la tua iniqua força! Envejosa dels animosos e enemiga als flacs, no desdenyes vençre, e dels forts destruïts triümfar te delita!

- Oh, monstrueuse fortune, aux visages terribles et changeants, qui encore et encore fait tourner ta roue, sans repos, contra les misérables Grecs; tu as montré avec force le degré le plus haut de ta puissance inique, jalouse des braves et ennemie des faibles! Tu ne dédaignes pas vaincre, et tu te délectes de triompher des forts que tu détruis!





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Sur un plan général, il est utile de s’intéresser aux intertextes, car ils peuvent aider à comprendre un passage difficile. Ainsi, dans ce cas précis, Hauf a montré la connexion de ce passage avec un autre de Corella:

¡O Fortuna monstruosa! Ab variables diverses cares, sens repòs sempre movent la tua inquieta roda, contra los miserables troians has poderosament mostrat lo pus alt grau de la tua iniqua força; envejosa Deessa d’animosos enemigals falcs [sic]: no desdenyes vençre, e dels forts destruits triomfar te delita...



On aurait espéré pouvoir s’en servir pour mieux comprendre Martorell, mais en fin de compte le sens de ce second texte est plus obscur que celui de Joanot, dont la signification, même si elle est emberlificotée, n’est pas impossible à saisir.

-Oh fortuna... Ici se pose le problème de la place de l’adjectif. En français aussi, monstrueux suit généralement le nom auquel il s’applique, mais dans une phrase exclamative, son antéposition lui donne plus de force, et c’est ce qui convient ici.

Ab: Avec passe mal en français; son emploi est bien moins fréquent qu’en catalan. Pour conserver l’ordre essentiel de la phrase catalane, nous sommes amenés à modifier la syntaxe, mais sans changer le sens de la phrase.

variables: la traduction littérale est difficile en français actuel; la consultation du Dictionnaire du moyen français [Biblio. 12] -abrégé dorénavant en DMF-, qui correspond justement au français de la Renaissance -soit grosso modo XIVe-XVIe siècles-, renvoie au français contemporain changeant, inconstant.

diverses: L’Alcover donne comme sens ancien estrany, diferent. Mais ici le contexte suggère plus. Le DMF est utile; il donne singulier, bizarre, extraordinaire, assez proches du sens donné par Alcover, mais il propose en outre Inconstant // Pernicieux, horrible, hostile // Mauvais, méchant, fourbe. Ce qui convient mieux. Il faut remarquer qu’il s’agit là d’un exemple de ces doublets pléonastiques caractéristiques de la belle langue de l’époque, aussi bien catalane que française ou castillane, qui ont de beaux jours devant eux car ils seront prisés au moins jusqu’au XVIIe siècle. Mais actuellement ces doublets tautologiques seraient insupportables, d’où notre recherche d’une certaine variations sémantique.

sens repòs... Ici encore nous avons une espèce de pléonasme sens repòs sempre movent. La traduction littérale serait quelque peu maladroite. Il semble intéressant d’exprimer ce mouvement incessant par une autre tournure, qui encore et encore, qui de façon plastique marque cette durée. On pourrait aussi dire qui infatigablement, l’adverbe formellement long renforce le sens, etc.



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dels forts destroïts: Il semble y avoir en catalan une anticipation -puisque les forts ne seront détruits que lorsqu’ils auront été vaincus- que le français moderne ne saurait admettre, d’où notre modification, qui respecte mieux la logique de Descartes.

¿No havia prou durat dol i tristor del meu germà i de la dolor qui per tot l’Imperi era? E ara ho has volgut tot aterrar!

N’avaient-ils point assez duré le deuil et la tristesse causés par le trépas de mon frère, et la douleur qui avait touché tout l’Empire, que tu aies voulu maintenant tout raser?



Le début ne se prête pas aisément à la traduction. Il y a un lien logique entre ¿No havia prou... et E ara ho has..., que le français doit marquer.

De même, tristor doit être explicité en deuil et tristesse causés par. Nous avons ici, comme en d’autres endroits, un phénomène bien connu des traducteurs, sous le nom de ‘foisonnement’ ou d’‘étouffement’.

Aquest era sustentació de ma vida, aquest era consolació de tot lo poble e repòs de la vellea de mon pare. Aquest darrer dia amarg de la tua vida, és estat darrer de tot lo nostre Imperi i de la nostra benaventurada casa. ¡Oh durs fats, cruels e miserables! ¿E com no permetés que jo, ab les mies desaventurades mans, pogués servir aquest gloriós cavaller? ¡Deixau-lo’m besar moltes vegades per comentar la mia adolorida ànima!

Cher frère, tu étais le soutien de ma vie, tu étais la consolation de tout un peuple et le bâton de vieillesse de mon père. Ce dernier jour amer de ta vie a été le dernier de tout notre Empire et de notre bienheureuse maison. Oh, durs fata, cruels et misérables, pourquoi donc m’avoir interdit de servir de mes mans infortunées ce glorieux chevalier! Laissez-moi l’embrasser tout mon saoul pour rassasier mon âme accablée.



Aquest: Ce pronom démonstratif laudatif est difficile à traduire en français. Il faudrait expliciter Cet homme, ce qui n’est pas du meilleur effet. Une solution possible serait une transposition par le pronom personnel de deuxième personne, puisque dès la phrase suivante il lui est appliqué.

durs fats: Cette notion de fats est commune chez les Catalans du XVe. Elle apparaît aussi bien chez Ausiàs March que chez Corella. Ils peuvent être cruels, implacables, inics, etc. Le français n’a pas de correspondant exact; l’héritier du latin fata donne fée, dont le sens ne convient pas. L’ancien français connaissait fe/fed, dont le sens était démon, diable. La traduction en français

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actuel pourrait être destinée, ou fatalité, mais l’expression y perd. On doit donc se rabattre sur le latinisme fatum, dont le pluriel est fata.
Autre remarque: la traduction plus près du texte est plus lourde et moins élégante en français:
Oh, durs fata, cruels et misérables, comment avez-vous pu interdire que de mes mans infortunées je pusse servir ce glorieux chevalier!
La solution retenue allège l’expression en évitant la conjonction de subordination que et l’usage désuet du subjonctif imparfait.

desaventurades mans: Nous avons ici une hypallage, tout à fait admissible en français, qu’il nous faut donc conserver.

besar... Chaque fois que cela est possible, il nous faut vérifier si certains syntagmes sont propres à Martorell ou s’il relèvent d’un usage plus général; besar moltes vegades se retrouve par exemple chez Isabel de Villena, Vita Christi, c. CCVI: “E, tornant-la a besar moltes vegades, deïa-li [santa Anna]: “Oh, filla mia! Alegrau-vos e passau aquest temps ab paciència, [...]”.

E besava lo fred cos l’afligida senyora ab tanta força que es rompé lo nas, llançant abundosa sang, que los ulls e la cara tenia plena de sang. No era negú que la ves lamentar, que no llançàs abundoses llàgremes de dolor. Aprés tornà a dir:

Et la dame affligée embrassait le corps froid avec tant de force que son nez se déchira et que le sang jaillit, inondant ses yeux et son visage. Il n’y avait personne qui, la voyant se lamenter, ne versât des pleurs infinis de douleur. Puis elle dit encore:



lo fred cos: On retrouve ce syntagme, ainsi que abundosa sang, ailleurs. Ainsi, chez Corella, ·[III] De Píramus i Tisbe: perdí tots mos sentiments e, llançant-me davant lo fred cos, mesclades ab la sua sang les mies amargues llàgrimes, ab plorosa veu deïa: “¡Píramus! Si la mort te dona llicència, alça los ulls e veuràs la tua Tisbe.” ··Corella, Plant dolorós de la reina Hècuba, raonant la mort de Príam, e de Policena, e d’Astianacres: ans, la tinta negra, començant a scriure lo caure de la tan alta torre, convertint-se en abundosa sang, així lo blanc paper tenyint abeurava, que m’era forçat deixar-me de tan dolorosa escriptura;

es rompé lo nas: La traduction littérale primaire, elle se cassa/brisa le nez est inexacte et produit un effet comique inconvenant, surtout avec cassa. Déchirer, qui peut être l’un des sens tant du catalan que du moyen français rompre, est la seule possibilité.
Cf. Llull, Amic i amat: Plorava e planyia l’amic... e rompia sos draps. Cf. Roís de Corella, De Píramus i Tisbe: E, rompent les mies vestidures, ab dolorosa veu deïa...



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abundosa sang: Traduire, c’est traduire du sens et non des mots. Ainsi, par exemple, il n’est pas sûr qu’il faille ici conserver abundosa, soit avec abondance, qui n’est pas très littéraire, alors que le verbe inonder apporte cette idée à lui tout seul.

- Puix la fortuna ha ordenat e vol que així sia, los meus ulls no deuen jamés alegrar-se, sinó que vull anar a cercar l’ànima d’aquell qui solia ésser meu, Tirant, en los llocs benaventurats on reposa la sua ànima, si trobar-la poré. E certament ab tu vull fer companyia en la mort, puix en la vida, que t’he tant amat, no t’he pogut servir.

-Puisque la fortune l’a ordonné et veut qu’il en soit ainsi, mes yeux ne doivent plus jamais exprimer la joie; je veux au contraire rejoindre l’âme de celui qui était mien, Tirant, dans les lieux bienheureux où repose son âme, si je puix la trouver. Je veux, sans hésiter, t’accompagner dans la mort, puisque dans la vie, pendant laquelle je t’ai tant aimé, je n’ai pu te servir.



los meus ulls... La traduction littérale n’est pas impossible, mais d’autres traductions seraient plus littéraires, comme la joie ne doit plus briller dans mes yeux.

anar a cercar: Par contre la traduction littérale aller chercher est maladroite, car l’idée est ici celle de rejoindre, que nous préférons donc de beaucoup.

solia: Soler est difficile à traduire, le verbe souloir ayant disparu en français. Ce verbe apporte ici une nuance qu’on ne pourra pas rendre exactement.
C’est ce qui fait que la traduction est parfois considérée comme une trahison.

certament: Il faut être attentif, car en français certainement exprime une probabilité, alors qu’en catalan il s’agit d’une certitude.

¡Oh vosaltres, dones e donzelles mies, no ploreu! Estotjau aqueixes llàgremes a més desitjada fortuna, car molt prest plorareu lo mal present ensems ab l’esdevenidor: baste que jo plore e lamente, perquè aquests són mals meus.

Oh, vous, mes dames et mes donzelles, ne pleurez pas! Gardez ces larmes pour un malheur plus cruel, car très bientôt vous pleurerez ensemble le mal présent et à venir: il suffit que moi seule pleure et me lamente, car ces maux sont miens.



donzelles: La traduction, tout en étant la plus exacte possible, doit conserver un léger exotisme, un petit parfum d’altérité. Alors que la traduction la plus juste de donzelles serait demoiselles, nous gardons cependant donzelles, qui existe en français mais n’est pas habituel, pour conserver ce bouquet venu d’ailleurs.

més desitjada... Passage incompréhensible qu’éclaire le chapitre 10; c’est menys et non més qu’il faut lire:

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Oh entrestit Rei! I en tan poca esperança tens ta vida? Estutja aqueixes llàgrimes a menys desitjada fortuna que aquesta.
Traduit par:
Oh, triste Roi! N’attends-tu plus rien de la vie? Réserve ces larmes à un sort plus cruel que celui-ci.

lo mal present... Rappel d’Ausiàs March, 111: Tot ço que veig me porta en record lo mal present e lo que és per venir. Ce sont des passages comme celui-ci qui mériteraient dans une traduction d’être suivis d’une note érudite.

Ai, trista de mi! Que jo plore e crides ¿on és lo meu Tirant?, e tinc-lo davant los meus ulls, mort e tot ple de la mia sang. Oh Tirant! Rep los besars e los plors e soupirs ensems, e pren aquestes llàgremes, car tot quant te dó m’és restat de tu, car llavors la mort és desitjada com la persona mor sens temor. Lleixa’m la camisa que et doní, per consolació mia, que aprés serà mesa en la tomba tua e mia, llavada ab les mies pròpies llàgremes e netejada del rovell de les tues armes.

Hélas, triste de moi! Je pleure et je cries où est mon Tirant?, et je l’ai devant les yeux, mort et noyé dans mon sang. Oh, Tirant! Reçois baisers, pleurs et soupirs mêlés, et prends ces larmes; tout ce que je te donne c’est à toi que je le dois, et alors la mort est désirée quand on meurt sans crainte. Laisse-mai la chemise que je t’ai donnée pour mon bonheur; ensuite on la déposera dans ta tombe et la mienne, lavée avec mes propres larmes et nettoyée de la rouille de tes armes.



Que jo plore... On a déjà dit que la conjonction que est lourde en français; on l’évitera donc autant que faire se peut. Ici elle sera rendu par un et (je l’ai devant les yeux...) explétif placé plus loin, valant pour alors que (je l’ai devant les yeux...).

tot quant te dó... Nous pensons avoir compris et rendu le sens de cette phrase, bien qu’il ne soit pas des plus limpide. Le contexte est essentiel pour dégager la signification d’un mot ou d’une expression en discours. Ainsi du verbe restar. Le sens semble être: ces larmes que je te donne, tu en es l’origine.

car llavors: Mais on voit mal le lien logique qui justifie car llavors. Sans doute vaudrait-il mieux dire, en intervertissant llavors et com: car com la mort és desitjada llavors la persona mor sens temor. Soit: et quand la mort est désirée, on meurt alors sans crainte.

consolació: Encore une fois, une traduction littérale serait un faux-sens, car, comme le signale Alcover, ce mot pouvait signifier goig, satisfacció, ce qui est le cas ici. Ce sens n’était pas inconnu en moyen français, puis que DMF donne réjouissance.



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E, dites aquestes paraules, caigué sobre lo cos, esmortida. Fon llevada prestament de sobre lo cos, e per los metges ab aigües cordials e altres coses, fon retornada.

Lorsqu’elle eut dit ces mots, elle tomba sur le corps, évanouie. On l’en retira rapidement, et les médecins la ranimèrent avec des eaux cordiales et autres potions.



E,: La langue du XVe siècle usait et abusait de la copulative e, mais il faut éviter sa prolifération dans une langue moderne.

caigué... esmortida: C’est ce qu’on trouve aussi chez Isabel de Villena, Vita Christa, c. CXLII: “E la piadosa e amable mare [...] no podent lo seu cor soferir tanta dolor, caigué esmortida sobre los braços del seu fill, posant lo cap sobre los seus pits”.
Chez Jaume Roig aussi, Spill, II, “Com volgué pendre beguina: Dient «Jesús», fingint-se storta, mostrà’s mig morta. Com esmortida e sbalaïda, clamàs: «Del lloc baix»”

coses: Ce terme est trop général; on en recherchera un plus précis et qui s’accordera avec le contexte.

E, cobrat lo record, no tardà sobre lo cos mort la ja quasi morta senyora llançar-se e la boca freda besar de Tirant. Rompé los seus cabells, les vestidures ensems, ab lo cuiro dels pits i de la cara, la trista sobre totes les altres adolorida; i, estesa sobre lo cos, besant la boca freda, mesclava les sues llàgremes calentes ab les fredes de Tirant.

Revenue à elle, la Princesse, déjà aux portes de la mort, se jeta bientôt sur le cadavre et baisa la bouche froide de Tirant; elle arracha ses cheveux et ses vêtements en même temps que la peau de sa gorge et de son visage, la triste dame, plus que toute autre affligée; couchée sur le corps, baisant la bouche froide, elle mélangeait ses larmes chaudes aux larmes froides de Tirant.



Riquer a signalé que ce paragraphe ressemblait à un autre que l’on peut trouver dans La història de Lèander i Hero de Roís Corella. La confrontation des deux textes peut être fructueuse.

cobrat... Le sujet, quasi morta senyora, doit être placé avant le verbe en français, qui se satisfait fort rarement de l’inversion du dit sujet.

quasi morta: La traduction littérale ne serait pas heureuse, car quasi est trop familier en français.

rompé: On a déjà vu que rompre renvoie à d’antres sens que briser. S’agissant de cheveux, on pensera à arracher.



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E volent pronunciar, no podia ni sabia tristes paraules a tanta dolor conformes. I, ab les mans tremolant, los ulls de Tirant obria, los quals primer ab la boca, aprés ab los seus ulls besant, així d’abundants llàgremes omplia, que semblava Tirant, encara mort, plorant la dolor de la sua Carmesina viva, planyent deplorava. E sobre totes, plorant sang, que d’aigua les llàgremes ja tenia despeses, lamentava sobre lo cos aquella que, sola, perdia, aquell qui per ella havia perdut la vida e, ab paraules que les pedrenyeres, los diamants e l’acer bastarien a rompre, en semblant estil planyent deplorava:

Et voulant parler, elle ne le pouvait, ne connaissant pas de mots assez tristes pour exprimer une telle douleur. Les mains tremblantes, elle ouvrait les yeux de Tirant, et elle les baisait d’abord de sa bouche puis y frottait ses yeux et les noyait de larmes si abondantes qu’il semblait que Tirant, bien qu’il fût mort, pleurait la douleur de sa Carmesine vivante avec des larmes de pitié. Et par dessus tout pleurant du sang, car de larmes d’eau elle n’en avait plus, elle se lamentait sur le corps de Tirant celle qui, esseulée, perdait celui qui pour elle avait perdu la vie; et avec des paroles qui auraient suffi à briser les pierres, les diamants et l’acier elle pleurait en gémissant comme il suit:



pronunciar: S’exprimer ne convient peut-être pas tout à fait dans une si grande détresse, car il dénote une raison maîtrisée.

no podia ni sabia: Il y a en fait un lien logique implicite que nous rendons explicitement en français.

ab los seus ulls besant: Impossible de traduire littéralement en français, car on n’embrasse pas avec les yeux. D’où la traduction proposée.

plorant... Syntaxe quelque peu torturée, que nous redressons en français tout en rendant le sens.

Capítol CDLXXIV. Altra lamentació que fa la Princesa sobre lo cos de Tirant.

Chapitre 474. Des nouvelles plaintes de la Princesse sur le corps de Tirant.



Même remarque que pour le titre du chapitre précédent en ce qui concerne la traduction par une phrase nominale.

- Fretura de paraules causa que les dolors no són raonades segons l’extrem en què turmenten, e aquest és lo mal que entre tots a mi més agudament turmenta, que si totes les parts de ma persona, deixant llur pròpia forma, en llengües se convertien, no bastarien lo grau de ma dolor, segons que en ma adolorida pensa descansa, raonar.

-L’indigence des mots est cause que l’expression des douleurs ne correspond pas à la violence des tourments qui les accompagnent; c’est de tous les maux, celui qui

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plus que tout autre me tourmente avec le plus de virulence; si toutes les parties de ma personne, abandonnant leur forme propre, en langues se changeaient, elles ne suffiraient pas à manifester l’intensité de ma douleur, feu qui dévore mon esprit.



Fretura: On doit faire un effort de recherche stylistique et de précision linguistique: fretura, c’est le manque, l’absence, donc l’indigence.

raonades: Une remarque s’imposes raonar, ainsi que l’indique Alcover, peut signifier simplement parlar, dir. Donc paner, dire, voire exprimer. Cette idée de l’impuissance des mots est banale. On la retrouve ailleurs, comme par exemple chez Corella: “¿per què detinc lo temps, cercant paraules a tanta pena conformes, puix és impossible [que] tan gran tristor raonar se puga? (Tragèdia de Caldesa), ou chez Isabel de Villena: “Oh, dolor, qui raonar ni sentir no es pot sinó per mi qui la sofir!” (c. LXXXIII).

segons que en ma adolorida pensa descansa: phrase un brin torturée dont nous espérons avoir dégagé le sens pour le rendre de façon plus admissible en français.

Car moltes vegades la mísera pensa pronosticant adevina los dans que l’adversa fortuna procura, ab tristor que el meu cor miserable turmenta, no ignorant de tal dolor la causa, com tinc per cert lo gran infortuni que ma vida assalta, car del retret de la mia ànima dolorosos sospirs expiren, e los meus ulls fonts d’amargues llàgremes brollen, e ab dolor que lo meu cor esquinçant travessa.

Très souvent l’esprit misérable conjecture et devine les dams que l’infortune prodigue. La tristesse qui tourmente mon pauvre coeur les annonce. Je n’ignore pas la cause de cette douleur; je sais bien le grand malheur qui fond sur ma vie, qui tire des replis de mon âme de douloureux soupirs, qui brouille mes yeux, véritables fontaines, de larmes amères, et qui déchire et perce mon coeur meurtri.



Voilà le type même de phrase où le traducteur se perd. Il faut avoir l’humilité de le reconnaître, tout en faisant un effort pour dégager le sens. On s’appuiera, entre autre, sur les intertextes, s’il en existe, car il peuvent peut-être nous éclairer. Ainsi, comme Hauf l’a signalé, ce passage est à mettre en rapport avec celui-ci de Corella:

”Oït he dir, prudent dida mia, que moltes vegades la mísera pensa pronosticant adevina los dans que l’adversa fortuna procura, ab tristor que el nostre cor miserable tormenta, ignorant de tal dolor la causa. I per ço tinc recel [que] algun gran infortuni la mia vida assalte: car del retret de la mia ànima sospirs, sens deliber meu, expiren, e los meus ulls, no sé per què, fonts d’amargues llàgrimes brollen, e ab dolor que lo meu cor travessant esquinça, mirant contemple la roba del qui ab tan gran desig espere [e] la mia llengua, per extrema tristícia, no pot clarament pronunciar lo nom de Leànder” ([XV] Raonà Hero a la dida la sua gran tristícia).





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Puis il faut peser tous les termes en contexte:

pronosticant: C’est à la fois, conjecturer, prévoir, prédire et annoncer. Si nous comprenons bien, c’est la tristesse du coeur qui permet de pronostiquer les dams de la fortune; c’est à dire qu’ils sont annoncés par elle. D’où notre traduction. Le gros problème, c’est que Martorell passe d’une forme impersonnelle générale à une forme personnelle, première personne.

dans: Dams est un peu ancien, mais est employé encore dans l’expression au grand dam de. Autrement il y a dommages et tourments.

retret: Syntagme commun: del retret del seu cor (Tirant le Blanc, c. 357; Corella, [XXVIII] Consentí Jacob [que] Benjamin devallàs ab los germans en Egipte;).

E no et penses, ànima mia, de Tirant llarg espai jo et detinga: comporta al teu cos e meu jo done sepultura, perquè una glòria o una pena aprés la mort sofiren les dues ànimes, les quals un amor havien lligat en vida, e així los cossos morts abraçats estaran en un sepulcre, e nosaltres en glòria, vivint junts en una mateixa glòria.

Et ne pense pas, oh mon âme, que de Tirant je vais te tenir longtemps éloignée; souffre, mon bien, qu’à ton corps et au mien je donne sépulture, afin que dans la mort nos deux âmes connaissent la même béatitude ou le même tourment, puisqu’en vie elles étaient liées dans le même amour, et ainsi embrassés nos corps privés de vie occuperont la même sépulture, tandis que nous au paradis, vivrons ensemble dans la même gloire céleste.



Ici, on a une espèce d’anacoluthe; sans préavis, la Princesse change d’interlocuteur: d’abord elle s’adresse à son âme, puis à Tirant. Ceci nous oblige à préciser le second par mon bien, ou Tirant.

On remarquera ici le phénomène assez classique du foisonnement: la traduction prend plus de place que l’original.

E aprés dix:

Et ensuite elle ajouta:



dix: Il ne faut pas se cantonner à une traduction, toujours la même, pour un mot ou une expression. Il faudra varier les traductions en fonction du contexte.

- ¿E qui serà aquell qui gràcia em farà, qui portàs la mia ànima allà on és la de Tirant? ¡Ai trista de mi, en fort planeta naixquí! Dia era egipcíac, lo sol era eclipsi, les aigües eren tèrboles e los dies foren caniculars!



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- Qui sera celui qui me fera la grâce de conduire mon âme là où se trouve celle de Tirant? Hélas, pauvre de moi, je suis née sous une cruelle planète! C’était un jour funeste, un jour d’éclipse du soleil, les eaux étaient troubles et les journées furent caniculaires.



De nombreux syntagmes sont spécifiques de la langue source et devront être rendus par des expressions à peu près équivalentes de la langue cible; nous en avons ici deux exemples:

fort planeta: Autoridades donne pour fuerte > terrible, grave, excesivo, ce qui convient ici. En français classique, pouvait avoir le sens voisin de violent.

egipcíac: Ce sens se retrouve chez Corella,
· “Tragèdia [de Caldesa] raonant un cas afortunat que ab una dama li esdevenc: Així passí la major part d’aquest egipciac dia, sol, e acompanyat de molts e dubtosos pensaments”.
· “[XI] Clamà’s Leànder de la ira de la mar: Era arribat aquell egipciac dia que la iniqua sort havia ordenat [que] Leànder perdés a Hero, ensems ab la vida”.

L’Égypte est souvent vue négativement dans l’Ancien Testament. Elle est le lieu de l’esclavage du Peuple Élu, que Moïse libère lors de l’Exode, guidé par YHWH (Ex 20,2). C’est encore l’Égypte qui met fin au règne si prometteur de Josias et tiendra Juda sous sa coupe pendant les années suivantes (2 R23, 29-35).

La mia mare gran dolor sentí en lo dia del meu naiximent, e de mort sobtada pensà morir. ¡E ja fos jo morta en aquell dia trist, perquè no hagués sentida la grandíssima dolor que ara sent la mia ànima adolorida! E tu, regidor del sobiran cel, poderós Rei de la cort celestial, suplic a la tua majestat sacratíssima que tots aquells sien defraudats qui m’empediran que jo ara no muira.

Ma mère sentit grande douleur le jour de ma naissance, et elle pensa mourir de mort soudaine. J’aurais dû mourir ce triste jour; ainsi je n’aurais pas ressenti cette immense douleur dont souffre maintenant mon âme dolente. Et Toi, Moteur du ciel souverain, puissant Roi de la Cour céleste, je supplie Ta Majesté très sainte de tourmenter tous ceux qui m’empêcheront de mourir maintenant.



regidor: La traduction littérale par régisseur, voir gouverneur serait maladroite, car en français on n’applique pas ces termes à Dieu.

L’Emperador, afligit de les lamentacions de sa filla, dix:

L’Empereur, que les lamentations de sa fille affligeaient, appela ses chevaliers:





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afligit de: La traduction par la voix passive, affligé par, serait lourde en français, d’où l’introduction d’une relative.

dix: Traduction justifiée par le contexte.

- Jamés hauria fi lo dol e plor de ma filla, car lo seu veure li és eternal vida. Per ço, los meus cavallers, preniu-la e portau-la al meu palau, en les sues cambres, per força o per grat.

- Le deuil et les pleurs de ma fille n’auraient jamais de fin, car ce qu’elle volt est pour elle vie éternelle. Je vous demande donc, mes chevaliers, de vous en saisir et de la conduire à mon palais, dans ses appartements, de gré ou de force.



lo seu veure: L’Empereur semble vouloir dire que le spectacle de Tirant mort pousse sa fille vers la vie éternelle. La traduction française laisse flotter cette ambiguïté du sens.

E així fon fet. E lo pare atribulat anava après d’ella, dient:
-Tot hom, trist e miserable, pren gran consolació en veure plorar e llançar moltes llàgremes e oir grans crits e lamentacions, e porem ben dir: “¡Mon és lo pilar qui sostenia la cavalleria!” E vós, ma filla, qui sou senyora de tot quant jo he, no façau tal capteniment de vós mateixa, car la vostra dolor és mort per a mi, e no vullau manifestar a tothom la vostra dolor, car moltes vegades cau la pena sobre aquell qui la tracta. E, si us penediu del mal que feu, ignocenta deveu ésser de la culpa. Lleixau-vos de plorar e mostrau a la gent la vostra cara alegre.

Et il fut fait ainsi. Le père consterné allait après elle en disant:
- Quiconque est triste et misérable ressent grande consolation à voir pleurer et verser d’abondantes larmes et à entendre de grands cris et des lamentations, et nous pourrons bien dire: il est mort le pilier qui soutenait la chevalerie! Et vous, ma fille, qui êtes suzeraine de tout ce que j’ai, ne vous laissez pas aller à de telles manifestations, car votre douleur m’inflige la mort, et prenez sur vous de ne pas montrer à chacun votre douleur; souvent la peine retombe sur celui qui la côtoie. Si vous vous repentez du mal que vous faites, vous devez être innocente de la faute. Cessez de pleurer et montrez votre visage joyeux.



Heureusement, certains passages ne présentent pas de grandes difficultés, ce qui permet au traducteur de souffler un peu.

Respòs la Princesa:
-¡Ai Emperador, senyor engendrador d’aquesta miserable de filla! E bé pensa vostra majestat aconhortar la mia dolor? Aquest pensava jo fos consolació mia. ¡Ai trista, que no puc retenir les mies llàgremes, que aigua bullent par que sien!



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La Princesse répondit:
- Hélas Sire Empereur, auteur des jours de cette misérable fille! Votre majesté pense-t-elle vraiment soulager ma douleur? C’est de lui seul que j’attendais mon bonheur. Hélas, pauvrette, je ne puis retenir mes larmes, qui semblent être d’eau bouillante!



trista: Pauvrette est, en français, comme un écho du fameux Seulette suis et seulette veux être de Christine de Pizan.

Lo mesquí de pare, com véu que sa filla e les altres dones totes estaven fent gran dol e plant, no pogué aturar en la cambra de sobres de dolor.
Se n’anà, e la Princesa s’assigué sobre lo llit, e dix:

Le père accablé de malheur, quand il vit que sa fille et toutes les autres dames faisaient grand deuil et sanglotaient, ne put rester dans la chambre: ne pouvant en supporter davantage, il s’en alla.
La Princesse s’assit alors sur son lit et poursuivit:



Lo mesquí de pare: Le même syntagme se retrouve dans Curial... ([III] 52): Lo mesquí de pare, torbat, no sabia què dir”.
mesquí: c’est bien sûr ici le sens de miserable, infeliç, ple de dissort (Alcover), sens que ne connaît pas le français. C’est le piège des faux amis à éviter.

Se n’anà: D’un point de vue logique, je préfère rattacher le Se n’anà de la seconde phrase à la première.

- Veniu, les mies feels donzelles, ajudau-me a despullar, que prou temps tendreu per a plorar. Llevau-me primer lo que porta al cap, aprés les robes e tot quant vist. E compongué lo seu cos en la més honesta manera que pogué, e dix:

- Venez, mes fidèles donzelles, aidez-moi à me déshabiller; vous aurez assez de temps pour pleurer. Ôtez-moi d’abord ce que je porta sur la tête, puis les habits et tout ce que je porta.
Elle disposa son corps de la façon la plus honnête qu’elle put, et gémit:



e dix: Remarquez la traduction de dix par gémit, que le contexte appelle.

-Jo só Infanta esperant senyorejar tot l’Imperi grec. Só forçada de moure a tots los que ací són a digna dolor e pietat per la mort del virtuós e benaventurat cavaller Tirant lo Blanc, qui ens ha lleixats atribulats, la qual tribulació tornarà tota sobre mi.

- Je suis Infante, en attente de diriger tout l’Empire grec; je ne puis faire autrement que d’inviter tous ceux qui sont ici à manifester douleur et pitié pour

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la mort du vertueux et bienheureux chevalier Tirant le Blanc, qui nous a laissés dans l’affliction, affliction qui tombera entièrement sur moi.



senyorejar: Il n’est pas rare que plusieurs traductions soient possibles. Ici nous aurions pu mettre gouverner au lieu de diriger. Le moyen français connaissait le verbe seigneuriser, dont le sens était: 1º tenir la place d’un seigneur, 2º gouverner, dominer, commander.

Só forçada: La traduction littérale ne rendrait qu’imparfaitement cette obligation morale de la Princesse, qui ne peut faire autrement que de remplir son devoir.

moure: C’est aussi bien inviter qu’inciter. Voire pousser à, mais la formulation manque d’élégance.

¡Oh, lo meu Tirant! ¡Per dolor de la tua mort les nostres mans dretes firen los nostres pits, e rompam les nostres cares perfer major la nostra misèria, car tu eres escut de nosaltres e de tot l’Imperi!

Oh, mon Tirant, à cause de la douleur où nous plonge ta mort, nos mains frappent nos poitrines; déchirons nos visages pour accroître notre misère; tu étais notre bouclier et celui de tout l’Empire!



rompam: Encore un rompre que nous traduisons par déchirer, ce qui est bien le sens.

¡Oh espasa de virtut! ¡Gran era lo nostre mal qui ens estava aparellat! E no penses, Tirant, que sies caigut de la mia memòria, car tant com la vida m’acompanyarà, lamentaré la tua mort. Doncs, les mies cares donzelles, ajudau-me a plorar aquest poc temps que deu durar ma vida, que no puc molt ab vosaltres aturar.

Oh, épée de vertu, grands étaient les maux qui nous étaient réservés! Ne pense pas, Tirant, avoir disparu de une mémoire, car tant que la vie m’accompagnera je pleurerai ta mort. C’est pourquoi, mes chères donzelles, il vous faut m’aider à pleurer pendant le peu de temps que doit durer ma vie, car je ne puis rester davantage avec vous.



espasa de virtut: C’est une expression qui apparaît trois fois dans Tirant le Blanc.

Los crits e plors foren tan grans, que feïen tota la ciutat ressonar.

Les cris et les pleurs furent si grands, qu’ils faisaient résonner toute la ville.



Los crits... Ce syntagme, que l’on retrouve dans Tirant le Blanc, (c. 387) est aussi présent dans Curial...: Los crits foren tan grans que no s’oïen uns a altres: e quatre reis d’armes e molts harauts, vestits de la lliurea de Curial, anàvan

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per tota la plaça cridant mercè, e convidant e animant les gents a cridar” ([III] 103).

Com veïen la Princesa quasi més morta que viva, maleïen la fortuna, que en tan gran agonia les havia conduïdes, e veïen los metges, qui deïen que de dona mortal eren tots los seus senyals, que tanta dolor tingué de la mort de Tirant que per la boca llançava viva sang.

Quand elles voyaient la Princesse plus morte que vive, elles maudissaient la fortune qui en de telles affres les avait plongées, et elles voyaient les médecins, qui disaient que c’était là tous les symptômes d’une femme à l’article de la mort: elle avait eu tant de douleur de la mort de Tirant, que par la bouche elle crachait du sang à gros bouillons.



gran agonia: apparaît quatre fois dans Tirant le Blanc, mais aussi chez Isabel de Villena: “De què io estic en gran agonia (Vita Christi, c. 10).
agonia a ici le sens de angoisse, tourment ou très grande souffrance morale.

viva sang: aussi chez Corella: “de viva sang fins en los peus li rosava; e així de la sang les gotes per compàs plovien” ([III] Les set virtuts: la primera, caritat).

Entrà per la cambra la dolorosa Emperadriu, sabent que sa filla tan mal estava. Com la véu en tal punt estar, pres tanta alteració que no podia parlar, e aprés un poc espai, cobrats los sentiments, dix semblants paraules:
-Mitigant los treballosos assalts que <en> lo femení coratge desesperades eleccions e molt greus enuigs procurant infonen gràcia en lo turmentat esperit meu, que les mies justes afliccions<,> que per si piadoses causar deuen<,> en lo teu noble coratge animoses compassions introduesquen, e, acompanyant les mies doloroses llàgremes e aspres sospirs, vençuda de la justa petició mia, hages mercè de tu e de mi.

La malheureuse Impératrice entra dans la chambre lorsqu’elle sut que sa fille était si mal en point. En la voyant à cette extrémité, elle en fut tellement bouleversée qu’elle ne pouvait parler, et après un court moment, quand elle se fut ressaisie, elle dit les paroles qui suivent:
-Mon enfant, domine les pénibles assauts que subit ton coeur féminin; ne tourmente pas davantage mon esprit. La compassion que je ressens doit calmer ta douleur. Je partage ta peine. Aie pitié de toi et de moi.



Mitigant... Nous avons là le type même du passage obscur; l’utilisation des chevrons montrent bien notre hésitation au moment d’établir le texte. Nous l’avons choisi justement pour cela, dans l’espoir de recevoir quelques lumières de la docte assemblée de l’Alfàs del Pi; mais elle semble aussi démunie que

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nous. Ce passage apparaît deux fois dans Tirant le Blanc, avec de légères variations. Ainsi, c. III:

Com la Comtessa véu entrar les honrades dones, esperà que es fossen assegudes. Aprés dix semblants paraules:
-Mitigant los treballosos assalts que en lo femenil coratge desesperades eleccions e molts greus enuigs procurant infonen, gran és l’aturmentat esperit meu, per on les mies injustes afliccions poden ésser per vosaltres, dones d’honor, conegudes. E, acompanyant les mies doloroses llàgrimes e aspres sospirs, vençuts per la mia justa querella, presenten l’aflicció e obra per l’execució que tal sentiment los manifesta.



Traduit par:

La Comtesse, qui vit entrer les honorables dames, attendit qu’elles fussent assises; ceci fait, elle dit ce qui suit:
-Il me faut apaiser les pénibles épreuves auxquelles soumettent mon coeur de femme des choix désespérés, sources de graves tourments; la tristesse de mon âme torturée peut vous faire connaître, mesdames, les injustes malheurs qui me touchent. Accompagnant mes larmes de douleur et mes âpres soupirs, dominés par ma juste plainte, ils représentent l’affliction et le résultat de la sentence qu’exprime un tel regret.



Pris individuellement, les mots ne posent pas de problèmes majeurs de compréhension:

Mitigant: apaisant, calmant, adoucissant, atténuant.
treballosos: douloureux.
coratge: coeur, dispositions de l’âme, de l’esprit.
desesperades: extrêmes, terribles.
eleccions: choix.
greus: cruels, gênants, insupportables.
enuigs: douleurs, tourments, afflictions.
procurant: produisant, engendrant // recherchant.
infonen: donnent, communiquent, insufflent.

Mais nous avons quelque difficulté à suivre le déroulement de la pensée dans le détail, même si nous arrivons à dégager un sens global, que l’on retrouve dans la ‘traduction’. Peut-être le problème pourrait-il être abordé différemment: ce passage délicat est la manifestation d’un affectus soumis à une très grande tension, un affectus déchiré et en proie à la plus vive douleur; il est donc tout-à-fait logique que la personne en proie à une telle souffrance ait un discours incohérent. C’est

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le contraire qui serait étonnant. Si on accepte cette idée, il ne serait pas incongru, bien au contraire, de rendre dans la traduction française l’incohérence du discours en catalan.

Oh filla mia! ¿És aquest lo goig e l’alegria que jo esperava haver de tu? Són aquestes les núpcies que ab tanta consolació ton pare e jo, e tot lo poble, esperàvem de tu? Són aquests los dies assignats de celebrar núpcies imperials? Són aquests los tàlems que acostumen posar a les donzelles lo dia benaventurat de les sues bodes? ¿Són aquests los cants que s’acostumen de cantar en tals festes? Digau, ma filla, ¿són aquestes aquelles alegres consolacions e benediccions que pare e mare donen a sa filla en aquell dia del seu repòs?

Oh, chère fille! Est-ce là le plaisir et la joie que j’espérais avoir de toi? Sont-ce là les épousailles qu’avec tant de contentement ton père et moi et tout le peuple attendions de toi? Sont-ce là les jours assignés pour célébrer des noces impériales? Est-ce là l’hymen que l’on promet aux jeunes filles le jour bienheureux de leurs épousailles? Sont-ce là les épithalames que l’on a coutume de chanter lors de telles fêtes? Dites-moi, ma fille, sont-ce là les joyeux encouragements et les bénédictions que des parents prodiguent à leur fille le jour où elle s’assoit?



filla mia: Ce possessif sert ici à exprimer l’affection. D’où notre traduction. Mais le français connaît la même possibilité, c’est pourquoi nous écrivons ma fille plus bas.

tàlems: Dès le latin, ce mot présentait la valeur métaphorique de mariage, hymen. Thalamus n’a pas laissé de trace en français -si ce n’est en botanique, donc par voie savante-, ce qui justifie le choix d’un mot de même sens mais provenant d’un autre étymon.

¡Ai trista mísera! Que en mi no hi ha altre bé sinó dol, afany e amargor, e trist comport, e a cascuna part que em gire no veig sinó mals e dolors. Veig lo pobre d’Emperador, qui en terra està gitat. Veig les dones i donzelles, totes escabellonades, ab les cares totes plenes de sang: ab los pits descoberts e nafrats van cridant per lo palau, manifestant a tot lo món la llur dolor. E veig los cavallers e grans senyors: tots fan un dol, tots se lamenten, torcen-se les mans, arranquen-se los cabells del cap. Quin dia és tan amarg e ple de tanta tristor! Veig tots los órdens dels frares venir ab veus doloroses, e no és negú puixa cantar. Digau-me, ¿quina festa és aquesta, que tots la colen? Escassament negú no pot parlar sinó ab cara de dolor! Ai, bé és trista la mare qui tal filla pareix! Prec-vos, ma filla, que us alegreu. E dau remei e comport en aquesta dolor, e dareu consolació al vell e adolorit de vostre pare e a la trista e desaventurada de vostra mare, qui ab tanta delicadura vos ha criada.

Hélas, pauvre infortunée, qui n’abrite rien d’autre que deuil, peine et amertume, et triste comportement; où que je me tourne je ne vois que maux et douleurs! Je vois

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ce pauvre Empereur, étendu sur le sol; je vois dames et donzelles, toutes échevelées, le visage inondé de sang, les seins découverts et meurtris, qui se répandent par tout le palais en criant et en manifestant à tous leur douleur; je vois chevaliers et grands seigneurs: tous se plaignent, tous se lamentent; ils se tordent les mains, ils s’arrachent les cheveux de la tête. Que ce jour est amer et plein de tristesse, au-delà de ce que je puis exprimer! Je vois tous les ordres religieux qui viennent avec des voix douloureuses, et aucun ne peut chanter. Dites-moi, quelle fête est-ce là que tous fuient? N’y a-t-il personne qui puisse paner sans le masque de la douleur? Hélas, elle est bien triste la mère qui donne le jour à une telle fille! Je vous prie, mon enfant, de vous réjouir, de résister à cette douleur et d’y porter remède; c’est ainsi que vous consolerez votre vieux père affligé et votre triste et malheureuse mère qui vous a élevée avec tant de délicatesse.



ple de tanta... La traduction littérale, plein de tant de tristesse, n’est pas un syntagme usuel en français; il nous faut donc exprimer l’intensité d’autre façon, d’où notre traduction.

tal filla... ma filla: la répétition n’a pas ici de valeur stylistique. Elle ne vise pas à produire un effet d’écriture. Il nous faut donc l’éviter en français moderne, ce que nous avons fait.

E no pogué més parlar, tant la dolor la constrenyia.
Capítol CDLXXV. Resposta que fa la Princesa a l’Emperadriu, mare sua.

Elle ne put parler davantage tant la douleur l’oppressait.
Chapitre 475. Réponse que fait la Princesse à l’Impératrice, sa mère.



Resposta... Nous hésitons à traduire par une phrase nominale, car la présence de deux prépositions de produirait un effet de cacophonie: “De la réponse de la Princesse à l’Impératrice, sa mère”. Mais ce n’est peut-être pas absolument impossible.

-Si l’esperança de morir no em detingués, dix la Princesa, jo em mataria. ¿Com me pot dir vostra excel·lència, senyora, que jo m’aconhort e m’alegre, que haja perdut un tal cavaller, qui m’era marit e senyor, qui en lo món par no tenia? Aquest és qui en sa tendra joventut subjugà ab la virtut sua terres de pobles molt separats, la fama del qual serà divulgada en gran duració de segle<s> o de mil·lenars d’anys, la virtut del qual començà eixir en grans victòries.

-Si l’assurance de mourir ne me retenait point, répondit la Princesse, je me tuerais. Comment votre excellence, madame, peut-elle me demander de prendre consolation et de sourire, alors que j’ai perdu un tel chevalier? Il était pour moi mari et seigneur, et n’avait point son pareil au monde. C’est lui qui dans sa tendre jeunesse subjugua, grâce à son courage, des pays et peuples fort éloignés; lui dont

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la réputation traversera les siècles et les millénaires; lui qui découvrit sa vaillance en remportant d’éclatantes victoires.



l’esperança: le contexte indique que cette espérance est une certitude et non pas un simple désir dont la réalisation serait aléatoire. C’est donc bien d’assurance qu’il s’agit.

Aquest és qui no ha temut escampar la sua pròpia sang en camps de batalla. Aquest és lo qui ha venjades les injúries que han rebudes los grecs en los fets de les armes. Aquest és lo qui encalçà ardentment los que eren vencedors, e foragità de tota Grècia, qui ha per nosaltres obteses e vençudes tantes batalles.

Il n’a pas craint de répandre son sang sur les champs de bataille. Il a vengé les injures faites aux Grecs dans les combats. Il a pourchassé avec ardeur ceux qui nous avaient vaincus, et il les a rejetés hors des frontières de la Grèce, gagnant et remportant pour nous mille batailles.



Aquest és qui: impossible à traduire littéralement en français, ce qui fait perdre un peu du caractère laudatif du passage, mais que l’on retrouve quand même avec la succession accumulative des phrases commençant par le pronom personnel Il, qui se poursuit encore après.

que han rebudes: avec faites aux Grecs, nous avons un changement de focalisation, ou de perspective, mais le sens est conservé.

Aquest és qui tragué de catiu de poder d’infels tants nobles barons, cavallers e gentilshòmens, e els restituí en llur primer estat. Aquest és qui tornà a no res nostres treballs, que no era negú qui tingués gosar de defendre’s. Aquest és qui ha esvaïdes les hosts de nostres contraris, e ha subjugats e presos los majors senyors de tot lo poble morisc.

Sa main a arraché à la captivité bien des nobles, barons, chevaliers, gentilshommes, qui étaient tombés aux mains des infidèles, leur rendant leur liberté première. Il a effacé toutes nos souffrances, quand personne n’avait assez de coeur pour se défendre. Il a défait les armées de nos ennemis, soumettant et faisant prisonniers les plus grands seigneurs de tout la nation maure.



estat: a un sens très général qu’il n’est pas inutile de préciser en français: l’état premier des Grecs prisonniers est bien la liberté qu’ils ont perdue puis retrouvée.

poble morisc: Peuple morisque n’est pas possible, car morisque ne désigne en français que le descendant des Maures restés en Espagne après la reconquête chrétienne, ce qui n’est pas le cas ici.



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Per què em cal tant parlar? Que jo no deig haver temor de morir, ni excusar-me’n dec, per fer companyia a un tan valerós cavaller e entre tots los altres singular, car aquest ha multiplicat e ajustat temps a la mia misèria, e no dec tembre res que de mal sia. Miserable cosa és haver temor de ço que hom no espera haver res.

Mais est-il nécessaire de tant paner? Je n’ai ni à craindre la mort ni à la refuser; je dois tenir compagnie à un si vaillant chevalier, le plus remarquable d’entre eux, car il a prospéré et ajouté du temps à ma misère (?), et rien de mal ne peut m’arriver. Il est misérable d’avoir peur de ce qu’on n’attend pas.



car aquest ha... Encore un passage obscur, en attente d’une meilleure compréhension pour une traduction satisfaisante. Les concepts médiévaux ne sont décidément pas toujours des plus limpides.
ha multiplicat: faut-il comprendre a augmenté, a prospéré..., ou antre chose?
[ha] ajustat temps: quel est le sens exact de cette expression?

-Oh dolor, manifesta los meus mals, car no és dona ni donzella en lo món qui puga ésser dita miserable sinó jo! Doncs, donem obra ab acabament al camí que havem començat, car la vida se concorda ab la mort. Feu-me venir ací lo meu protector pare e senyor, perquè veja la mia mort e la fi que faré, per ço que li reste alguna cosa de sa filla.
Com lo trist de pare fou vengut, suplicà’l benignament se volgués gitar a la un costat, e l’Emperadriu a l’altre, e ella estava enmig. E pres-se a dir paraules de semblant estil:

-Oh douleur, découvre mes maux: il n’est dame ni donzelle au monde qui mérite le nom de malheureuse sinon moi! Marquons un terme au chemin que nous avons pris, car mort et vie se rejoignent. Faites venir ici mon protecteur, mon père et seigneur, pour qu’il voie ma mort et la fin que je ferai. Il lui restera ainsi quelque chose de sa fille.
Quand son triste père fut là, elle le supplia avec douceur de bien vouloir s’étendre à côté d’elle, faisant la même demande à l’Impératrice. Entourée ainsi de ses parents, elle se remit à parler de la sorte:



e ella estava enmig: Il peut arriver, comme ici, que la période française ait intérêt à être découpée autrement que la catalane, afin de trouver un rythme plus propre à la langue cible.

Arrivés au terme de cet exposé, nous espérons avoir montré par l’exemple qu’elles sont certaines des difficultés que peut rencontrer le traducteur. Ce travail ne prétend nullement être exhaustif, car un traité ou un cours de traduction pratique nécessiterait beaucoup plus de temps et d’espace. Ce n’était pas l’objectif que se proposait notre

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intervention, par le caractère même de cette manifestation de l’Alfàs del Pi. Nous souhaitons cependant avoir donné envie aux étudiants présents de se frotter à cet exercice stimulant de confronter deux langues, deux univers, que séparent, dans le cas présent, l’espace et le temps. Passer du catalan au français n’est pas forcément facile -les ressemblances de langues soeurs ne suppriment pas les différences, de tous ordres-, mais passer du catalan du XVe siècle au français du XXe accroît les difficultés, comme on a pu le voir: les structures mentales des hommes ayant vécu à la charnière du Moyen Âge finissant et de la Renaissance sont fort éloignées des nôtres, et la traduction de leur littérature oblige à une immersion dans un monde parfois étrange, toujours merveilleux, qui nous ouvre des perspectives stimulantes que nous avons un infini plaisir à faire partager aux lecteurs curieux de notre siècle.

JEAN-MARIE BARBERÀ
Université d’Aix en Provence


BIBLIOGRAPHIE

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11] FURETIÈRE, A. (1978) Dictionnaire universel, 3 tomes, Paris, Le Robert. Réédition de celui de 1690.

12] GREIMAS, A. J. (1980) Dictionnaire de l’ancien français jusqu’au milieu du XIVe siècle, Paris, Larousse.

13] - & KEANE, T. M. (1992) Dictionnaire du moyen français (la Renaissance), Paris, Larousse.

14] LADMIRAL, J.-R. (1979) Traduire: théorèmes pour la traduction, Paris, Petite Bibliothèque Payot.

15] LITTRÉ, É. (1956-58) Dictionnaire de la langue française, Paris, Jean-Jacques Pauvert/ Gallimard/Hachette. Réédition en sept volumes du dictionnaire de 1863-72.

16] MARTORELL, J. (1997) Tirant le Blanc. Traduction et adaptation en français par le comte de Caylus (1737). Établissement du texte, postface, notes, bibliographie par Jean Marie Barberà, Paris, Gallimard.

17] MATORÉ, G. (1985) Le vocabulaire et la société médiévale, Paris, PUF.

18] PELETIER, J. (1990) Art poétique (1555), dans Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, Paris, Le Livre de Poche.

19] REAL ACADEMIA ESPAÑOLA (1726) Diccionario de autoridades, 3 volumes, Madrid, Édition facsimil, Madrid, Gredos, 1990.

20] REY, A. (sous la direction de) (1992) Dictionnaire historique de la langue française, 2 tomes, Paris, Le Robert.

21] ROBERT, P. (1989) Le Grand Robert de la langue française. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, 9 tomes, deuxième édition entièrement revue et enrichie par Alain Rey, 9 tomes, Paris, Le Robert.

22] RONSARD, P. de (1990) Abrégé de l’Art poétique français (1565), dans Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, Paris, Le Livre de poche.

23] SÉBILLET, T. (1990) Art poétique français (1548), dans Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, Paris, Le Livre de Poche.





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Annexe


1. Thomas Sébillet:

-De la Versions “Si je ne t’ai jusques ici spécifié toutes les différentes sortes de Poèmes, si t’en ai-je déclaré la plupart, et du premier et plus fréquent usage. Je sais bien que tu en trouveras encore quelques-uns antres que ceux-ci: et n’ignore pas que le temps soit assez puissant pour en découvrir tous les jours de nouveaux: Mais tu entends bien aussi, Lecteur, que comme il est aisé d’ajouter aux choses trouvées, ainsi te sera-t-il facile, ou d’en innover de toi-même, ou imiter les innovés par autres, au moyen de la connaissance de ceux-ci”.

- Grand oeuvre, Le Roman de la Rose: “Pour ce serai-je content, et te supplierai aussi de l’être, du peu que je t’en ai déclaré: mais que je t’aie encore brièvement avisé, que des Poèmes qui tombent sous l’appellation de Grand oeuvre, comme sont, en Homère, l’Iliade: en Virgile, l’Énéide: en Ovide, la Métamorphose, tu trouveras peu ou point entrepris ou mis à fin par les Poètes de notre temps: Pour ce si tu désires exemple, te faudra recourir au Roman de la Rose, qui est un des plus grands oeuvres que nous lisons aujourd’hui en notre poésie Française. Si tu n’aimes mieux, s’il t’advient d’en entreprendre, te former au miroir d’Homère et Virgile, comme je serais bien d’avis, si tu m’en demandais conseil. Et crois que cette pénurie d’oeuvres grands et Héroïques part de faute de matière: ou de ce que chacun des Poètes famés et savants aime mieux en traduisant suivre la trace approuvée de tant d’âges et de bons esprits, qu’en entreprenant oeuvre de son invention, ouvrir chemin aux voleurs de l’honneur dû à tout labeur vertueux”.

- Traduction: “Pourtant t’avertis-je que la Version ou Traduction est aujourd’hui le Poème plus fréquent et mieux reçu des estimés Poètes et des doctes lecteurs, à cause que chacun d’eux estime grand oeuvre et de grand prix, rendre la pure et argentine invention des Poètes dorée et enrichie de notre langue. Et vraiment celui et son oeuvre méritent grande louange, qui a pu proprement et naïvement exprimer en son langage, ce qu’un autre avait mieux écrit au sien, après l’avoir bien conçu en son esprit. Et lui est due la même gloire qu’emporte celui qui par son labeur et longue peine tire des entrailles de la terre le trésor caché pour le faire commun à l’usage de tous les hommes”.

- Vertu de version: “Glorieux donc est le labeur de tant de gens de bien qui tous les jours s’y emploient: honorable aussi sera le tien quand t’adviendra de l’entreprendre. Mais garde et regarde que tu aies autant parfaite connaissance de l’idiome de l’auteur que tu entreprendras tourner, comme de celui auquel tu délibéreras le traduire. Car l’un des

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deux défauts ou tous les deux ensemble, rendraient ta version égale en mauvaise grâce à la sottie de celui qui pour plaire aux Dames entreprend le bal, et est boiteux d’une jambe, ou cloche de toutes les deux. Ainsi recevras-tu pour récompense de ton labeur tout tel salaire comme lui grand ris et pleine moquerie. Pour fuir de ce danger ne jure tant superstitieusement aux mots de ton auteur, que iceux délaissés pour retenir la sentence, tu ne serves de plus près à la phrase et propriété de ta langue, qu’à la diction de l’étrangère. La dignité toutefois de l’auteur, et l’énergie de son oraison tant curieusement exprimée, que puisqu’il n’est possible de représenter son même visage, autant en montre ton oeuvre, qu’en représenterait le miroir. Mais puisque la version n’est rien qu’une imitation, t’y puis-je mieux introduire qu’avec imitation? Imite donc Marot en sa Métamorphose, en son Musée, en ses Psaumes: Salel, en son Iliade: Héroët, en son Androgyne: Des Masures, en son Énéide: Peletier, en son Odyssée et Géorgique. Imite tant de divins esprits, qui suivant la trace d’autrui, font le chemin plus doux à suivre, et sont eux-mêmes suivis” (Art poétique français, pp. 145-147).




2. Barthélémy Aneau:

- Il est impossible de rendre avec la même grâce: “Aussi n’est requise la même grâce, mais la semblable, égale, ou plus grande, si elle vient à propos. Et néanmoins ce que tu dis être impossible aux traducteurs: tu le penses bien faire, en disant: Hurter la terre du pied libre, la Lyre enfante vers, Ode 8, et mille semblables.

Traduction n’est suffisante pour donner à notre langue cette perfection. -Or que cela fût vrai: encore ne doit être assez, à toi enseigneur, user de la négative: en disant n’est suffisante: ains fallait montrer par l’affirmative, moyen de parfaire le défaut: autrement tu ne nous enseignes rien, et ne défends, ni illustres rien notre langue (selon ton titre). Car négation rien ne présuppose”.

Sur le 6e chapitre -Des mauvais Traducteurs: “Pour discerner les bons traducteurs des mauvais: faut avoir jugement. Or le jugement est acquis avec l’âge et l’expérience. Pour ce ne juge si jeune de chose si antique. Montrant le blanc pour le noir ysteron proteron ou jeu de Primus secundus: le devant derrière; c’est mettre la charrue devant les boeufs, dire à ce propos: «montrant le blanc pour le noir». Car selon ton propos répréhensif fallait dire montrant le noir pour le blanc: qu’est à dire le mal pour le bien, le pis pour le mieux, le vice pour la vertu. Ou bien dire, Tournant le blanc en noir, jouxte le demi-vers Satirique. Qui nigra in candida vertunt, Qui tournent blanc en noir”.

-Les langues dont jamais n’ont entendu les premiers éléments: “Tu en es à croire. Car tu le dis de propre conscience”.



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- Fameux poètes: “Cet épithète est déshonorable: car il se prend en mauvaise partie comme libelle fameux, lieu fameux”.

- Sur le 7e chapitre: “Tout le commencement du chapitre est de translation vicieuse, et inconséquente, commençant par manger, moyennant par planter, et finissant par bâtir, en parlant toujours de mêmes choses: auquel vice tombent coutumièrement ceux qui toujours veulent métaphoriser, où il n’est besoin, et appliquer figures, où propriété serait mieux convenant: estimant l’oraison partout figurée, être plus belle que la simple, et égale, et rarement entremêlée de tels ornements. Tout ainsi que les enfants, qui estiment plus bel habillement un hoqueton orfaverisé d’archer de la garde qu’un saie de velours uniforme, avec quelques riches boutons d’or clairsemés” (Le Quintil horacien, pp. 199-201).




3. Jacques Peletier:

- Des Traductions: “La plus vraie espèce d’Imitation, c’est de traduire: Car imiter n’est autre chose que vouloir faire ce que fait un Autre: Ainsi que fait le Traducteur qui s’asservit non seulement à l’Invention d’autrui, mais aussi à la Disposition: et encore à l’Élocution tant qu’il peut, et tant que lui permet le naturel de la Langue translatives parce que l’efficace d’un Écrit, bien souvent consiste en la propriété des mots et locutions: laquelle omise, ôte la grâce, et défraude le sens de l’Auteur. Partant, traduire est une besogne de plus grand travail que de louange. Car si vous rendez bien et fidèlement, si n’êtes-vous estimé sinon d’avoir retracé le premier portrait: et le plus de l’honneur en demeure à l’original. Si vous exprimez mal, le blâme en choit tout sur vous. Que si votre patron avait mal dit, encore êtes-vous réputé homme de mauvais jugement, pour n’avoir pas choisi bon exemplaire. Somme, un Traducteur n’a jamais le nom d’Auteur. Mais pour cela, veux-je décourager les Traducteurs? nenni, et moins encore les frustrer de leur louange due: pour être, en partie, cause que la France a commencé à goûter les bonnes choses: Et même il leur demeure un avantage que s’ils traduisent bien et choses bonnes: le nom de leur Auteur fera vivre le leur: Et certes ce n’est pas peu de chose, que d’avoir son nom écrit en bon lieu.

Et bien souvent ceux qui sont inventeurs, se mettent au hasard de vivre moins que les Traducteurs: d’autant qu’une bonne Traduction vaut trop mieux qu’une mauvaise invention. Davantage, les Traductions quand elles sont bien faites, peuvent beaucoup enrichir une Langue. Car le Traducteur pourra faire Française une belle locution Latine ou Grecque: et apporter en sa Cité, avec le poids des sentences, la majesté des clauses et élégances de la langue étrangère: deux points bien favorables, parce qu’ils approchent des générales conceptions. Mais en cas des particularités, le Traducteur, à mon avis, doit être un peu craintif: comme en nouveaux mots: lesquels sont si connaissables, et suspects. Un Traducteur, s’il n’a fait voir ailleurs quelque chose du sien, n’a pas cette

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faveur des Lecteurs en cas de mots, combien que soit celui qui plus en a affaire. Et pour cela est moins estimé l’office de traduire. Vrai est que quand son Auteur sera excellent (car l’homme prudent se garde bien d’en traduire d’autres) il lui sera permis d’user de mots tous neufs: pourvu qu’il soit certain qu’il n’y en ait point d’autres: et lui sera une louange. Car d’user si souvent de périphrase, c’est-à-dire de circonlocution, en translatant, c’est un déplaisir trop grand: et est ôter le mérite du labeur ingénieux de l’Auteur: aient donc les Traductions place en notre Art, puisqu’elles se font par art: Voire et sont tellement artificielles, que la loi en est entendue de peu de gens. Et ne me peux assez ébahir de ceux, qui pour blâmer la Traduction de mot à mot, se veulent aider de l’autorité d’Horace, quand il dit, Nec verbum verbo curabis reddere, fidus Interposer, là où certes Horace parle tout au contraire de leur intention: qui étant sur le propos, non pas des Traductions (car il n’en a point donné de précepte, comme de chose qu’il prisait peu) mais du Sujet Poétique: dit que quand nous aurons élu quelque matière publique en un Auteur, nous la ferons notre privée, si entre autres, nous ne nous arrêtons à rendre le passage mot pour mot, ainsi que ferait un fidèle Traducteur: dont j’avais déjà touché un mot sur le passage du Sujet de Poésie. Et si ai expressément voulu déclarer ce lieu d’Horace: le voyant par nos Grammairiens autrement induit qu’il ne l’a pris: ainsi que me suis toujours étudié à éclaircir les lieux des Poètes, en les lisant par récréation de mes plus profès études. Comme entre autres ai découvert ce passage de Virgile en la troisième Églogue, où il y a, Et longum, formose, vale: vale, inquit Iola: où les Commentateurs disent que le quatrième pied du vers est un Dactyle: et scandent, le vale, inquit I, ola: comme ce soit un Spondée, et faille scander, le va, le inquit I, ola. La subtilité du Poète est qu’il a fait la première de vale longue, imitant le parler de la garce Phyllide. Car Ménalcas dit, «Phyllide a pleuré à mon département: et si m’a dit un long adieu, adieu, dit-elle»: Car ceux qui veulent montrer leur affection en pleurant: volontiers parlent long. Pour ce le Poète a mis deux fois vale: l’un bref, qui est la vraie prononciation: l’autre long, qui est celui de la garce pleurante. J’ai expliqué ce lieu en passant, tant parce que les choses artificielles ne sont jamais hors propos en traitant l’Art, que pour montrer toujours les subtilités de mon Virgile: me fâchant que ces gentils Commentateurs, déjà par tant d’années n’en savent pas connaître la centième parties desquels l’ignorance se découvre manifestement, en ce qu’ils font la dernière de vale brève: et avec cela corrompent la loi de Synalèphe, qui seraient deux licences extraordinaires pour néant, et sans propos. Et l’ai encore fait pour montrer être vrai ce que j’ai dit ailleurs, que les syllabes Latines et Grecques brèves se doivent prononcer brèves et les longues, longues. Suivant notre propos, les Traductions de mot à mot n’ont pas grâce: non qu’elles soient contre la loi de Traduction: mais seulement pour raison que deux langues ne sont jamais uniformes en phrases. Les conceptions sont communes aux entendements de tous hommes: mais les mots et manières de parler sont particuliers aux nations. Et qu’on ne me vienne point alléguer Cicéron: lequel ne loue pas le Traducteur consciencieux. Car aussi ne fais-je. Et ne l’entends point autrement, sinon

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que le Translateur doive garder la propriété et le naïf de la Langue en laquelle il translate. Mais certes je dis qu’en ce que les deux Langues symboliseront: il ne doit rien perdre des locutions, ni même de la privauté des mots de l’Auteur, duquel l’esprit et la subtilité souvent consiste en cela. Et qui pourrait traduire tout Virgile en vers Français, phrase pour phrase, et mot pour mot: ce serait une louange inestimable. Car un Traducteur, comment saurait-il mieux faire son devoir, sinon en approchant toujours le plus près qu’il serait possible de l’Auteur auquel il est sujet? Puis, pensez quelle grandeur ce serait de voir une seconde Langue répondre à toute l’élégance de la première: et encore avoir la sienne propre. Mais, comme j’ai dit, il ne se peut faire” (Art poétique, pp. 262-265).









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