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Volumen 10 - carta nº 546

De LÉON DE MONGE
A   MARCELINO MENÉNDEZ PELAYO

Argenteau (Visé), 23 aout 1890

Cher Monsieur: Il y a bien longtemps que j'ai l'intention de vous écrire. Mais, outre mon travail ordinaire, cent occupations de surcroît m'en ont empêché tous les jours. Enfin j'ai quelque loisir et j'en profite pour causer avec vous.

Vos lettres m'ont bien encouragé dans mes études. Mes «épopées et romans chevaleresques» ont paru vous intéresser; et tout en faisant la part de votre indulgence, j'ai maintenant un peu plus de confiance en moi-même.

Cette confiance ne va pas jusqu'à maintenir contre vous la superiorité du Don Juan français. Peut-être ne dirai-je plus, dans une seconde édition: «le vrai Don Juan, c'est celui de Molière».

J'ai constaté, comme vous, la dissemblance profonde qui existe entre le type espagnol et le type français. V. page 376, «la différence la plus frappante» à page 379, «marche seul et n'aime que lui seul».

Jamais il n'a pu être á la mode pour un gentilhomme, en Espagne, de ne point croire en Dieu, d'être hypocrite et d'insulter poliment son père. «Tandis que le coeur du héros de Molina, quels que soient des vices et des crimes, bat encore au nom de la famille, de la patrie et de la chrétienté, le Don Juan de Molière marche seul et n'aime que lui seul». Ce que je dis est tout à l'éloge de votre pays.

Mais il me semble que le Don Juan français est plus logique dans Ie mal que le D. Juan espagnol. C'est aussi votre avis; mais pour vous, cet illogisme, ce mélange de passions criminelles, servies par une indomptable énergie, et de nobles sentiments transmis par les aieux, restes d'une haute origine, est une beauté littéraire et morale.

Vous ajoutez que l'impiété du Don Juan français rend le type moins dramatique. Si la revolte de Don Juan contre Dieu et sa lutte contre les puissances surnaturelles nous cause une émotion profonde -(dites vous)- c'est précisement parceque Don Juan est un libertin croyant. S'il ne croyait à rien, ses défis seraient de pures fanfaronnades. (Ai-je bien rendu votre pensée?).

Je crois qu'en vous plaçant au point de vue d'un public dont la foi est inébranlable et dont les passions sont violentes, vous avez raison. Mais tel n'était pas le public de Molière: il était vaniteux, vicieux parfois, mais sans passions ardentes, et commençait à devenir sceptique.

En présence de ce public là -fort indulgent, si ce n'est sympathique, pour le duelliste et le séducteur- trop ennoblir le caractere de Don Juan, n'était-ce pas risquer de le faire admirer sans réserve?

D'autre part, ce public de Molière est ebranlé dans sa foi, mais il ne va pas jusqu'à nier résolument Dieu; de même Don Juan. S'il restait absolument ferme et sincère dans son athéisme, le type serait peu dramatique, j'en conviens. Mais, s'il est possible que sa première invitation à la statue du Commandeur soit une pure fanfaronnade, dès que la statue s'anime et devient un spectre, il n'en est plus de même. Don Juan

doute de son incredulité. En continuant de braver Dieu, c'est une terrible partie qu'il joue contre l'inconnu.

Le Don Juan de Tirso dit: Je suis sur le chemin de l'Enfer; mais peut-être, avant de mourir, aurai-je le temps de me repentir.

Le Don Juan de Moliere dit: S'il y a un Enfer, j'y vais. Mais peut-être n'y a-t-il pas d'Enfer.

Laquelle des deux situations est la plus dramatiques? Cela me paraît discutable; et je me propose de le discuter dans un article de revue dont je vous enverrai les épreuves avant de le publier si vous voulez bien me le permettre.

J'ai fait, pendant ces vacances, un voyage à Paris. J'y ai vu M. Gaston Paris. Nous avons causé de vous; et je suis heureux de vous dire que M. G. Paris a fait un éloge passionné de votre science et de votre caractère. Il m'a recommandé la lecture attentive de vos «idées esthétiques en Espagne», que je m'accuse de n'avoir pas lues encore. Dès mon retour à Louvain, je comblerai cette lacune de mon éducation littéraire.

M. Paris m'a dit aussi combien il admire votre discours de rentrée á l'Université, dont il a parlé dans la Romania. Cette haute estime d'un vrai savant est d'autant plus significative qu'en dehors de la pure science littéraire, il est en désaccord avec vous sur le point le plus essentiel.

Agréez, je vous prie, cher Monsicur et Collègue, l'expression de mes sentiments les plus respectueux et les plus dévoués

L. Monge

Vicomte de Franeau

TRADUCCION

Querido señor mío: Hace mucho tiem o que tengo intención de escribirle. Pero, además de mi trabajo ordinario, cien ocupaciones adicionales me lo han impedido todos los días. Al fin tengo algún tiempo libre y lo aprovecho para conversar con Vd.

Sus cartas me han estimulado mucho en mis estudios. Mis Epopeyas y romances caballerescos parecen haberle interesado; y aun sin olvidarme de su indulgencia, tengo ahora un poco más de confianza en mí mismo.

Esta confianza no llega hasta sostener en contra de Vd., la superioridad del Don Juan francés. Quizá en una segunda edición ya no diré: «el verdadero Don Juan es el de Molière».

He comprobado, como Vd., la profunda diferencia que existe entre el tipo español y el tipo francés. V. página 376, «la diferencia más sorprendente», en página 379, «anda sólo y sólo se ama a sí mismo».

Nunca pudo estar de moda para un caballero, en España, no creer en Dios, ser hipócrita e insultar cortésmente a su padre. «Mientras que el corazón del héroe de Molina, cualesquiera que sean sus vicios y sus crímenes, palpita todavía por el nombre de la familia, de la patria y de la cristiandad, el Don Juan de Molière anda solo y sólo se ama a sí mismo». Esto que yo digo es todo un elogio de su país.

Pero me parece que el Don Juan francés es más lógico en el mal que el Don Juan español. Es también la opinión de Vd.; pero para Vd., esta falta de lógica, esta mezcla de pasiones criminales, servidas por una indomable energía, y nobles sentimientos transmitidos por los antepasados, restos de un alto origen, es una belleza literaria y moral.

Agrega Vd. que la impiedad del Don Juan francés hace el tipo menos dramático. Si la rebelión de Don Juan contra Dios y su lucha contra los poderes sobrenaturales nos causa una emoción profunda -dice Vd.- es precisamente porque Don Juan es un libertino creyente . Si no creyera en nada, sus desafíos serían puras fanfarronadas (¿He traducido bien su pensamiento?).

Yo creo que mirándolo desde el punto de vista de un público cuya fe es inquebrantable y cuyas pasiones son violentas, Vd. tiene razón. Pero no era tal el público de Molière; era vanidoso, vicioso a veces, pero sin pasiones ardientes, y empezaba a hacerse escéptico.

En presencia de aquel público -muy indulgente, si no simpático, para el duelista y el seductor- ennoblecer demasiado el carácter de Don Juan, ¿no era correr el riesgo de hacerle admirar sin reserva?

Por otra parte, ese público de Molière es vacilante en su fe, pero no llega a negar resueltamente a Dios; lo mismo que Don Juan. Si se mantuviera absolutamente firme y sincero en su ateísmo, el tipo sería poco dramático, convengo en ello. Pero si es posible que su primera invitación a la estatua del Comendador sea una pura fanfarronada, en cuanto la estatua se anima y se hace un espectro, ya no es lo mismo. Don Juan duda de su incredulidad . Al continuar desafiando a Dios, es una terrible partida la que juega contra lo desconocido.

El Don Juan de Molière dice: Si hay infierno, allá voy. Pero quizá no hay Infierno.

El Don Juan de Tirso dice: Estoy en el camino del Infierno; pero quizá, antes de morir, tendré tiempo de arrepentirme.

¿Cuál de las dos situaciones es la más dramática? Esto me parece discutible; y me propongo discutirlo en un artículo de revista, cuyas pruebas le enviaré antes de publicarlo, si Vd. me lo permite.

Hice, durante estas vacaciones, un viaje a París. Vi allí al Sr. Gastón París. Hablamos de Vd. y me complace decirle que el Sr. G. París hizo un elogio apasionado de su ciencia y de su carácter. Me recomendó la lectura atenta de sus Ideas estéticas en España, que me acuso de no haber leído todavía. Después de mi regreso a Lovaina, colmaré esta larga laguna de mi educación literaria.

El Sr. París me dijo también cuánto admira su discurso de apertura en la Universidad, del que ha hablado en la Romania. Esta alta estima de un verdadero sabio es tanto más significativa cuanto que fuera de la pura ciencia literaria, él está en desacuerdo con Vd. en el punto más esencial.

Le ruego tenga a bien recibir, querido señor mío y colega, la expresión de mis sentimientos más respetuosos y afectuosos,

L. Monge

Vizconde de Franeau